Si, entre les deux tours, les digues républicaines n'ont pas cédé, beaucoup d'interrogations étaient soulevées par des élections qui resteront comme un marqueur de l'ancrage de l'extrême droite. Une question brûlait hier les lèvres : la France a-t-elle joué à se faire peur au premier tour en plaçant ostensiblement l'extrême droite à un très haut niveau, jamais atteint jusqu'alors dans une élection et en rétablissant au second un paysage politique plus «normal» ? On pouvait se le demander après le choc de l'incroyable score de dimanche dernier qui a vu le Front national (FN) rafler un tiers des suffrages nationaux, rivalisant avec les deux autres tiers que sont la gauche socialiste (avec ou sans alliés) et la droite (Les Républicains alliés aux centristes). Hier, alors qu'il était arrivé en tête dans six régions sur treize (six millions d'électeurs) avec d'impressionnants écarts, le FN partait perdant, même là où il avait de bonnes chances de gagner comme dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie (Lille) ou en Provence Alpes Côte d'Azur (Marseille). Ces deux seules régions représenteront pour les analystes politiques un cas d'école. Avec plus de 40% des voix au premier tour (score qui place généralement le candidat en posture dynamique), les deux mesdames Le Pen : Marine et Marion, tante et nièce, devaient hier se voir dépasser par un sursaut républicain. Grâce, d'abord, aux socialistes qui se sont désistés pour favoriser la droite républicaine arrivée en deuxième position derrière le FN. Ensuite par les électeurs eux-mêmes qui, selon toutes les projections faites dans la semaine décisive de l'entre-deux tours, ne sont visiblement pas prêts à donner le pouvoir régional aux extrémistes de droite. Après le coup de semonce du premier tour, l'étiage de la défiance politique serait-il entré dans son lit ? Certainement pas, mais le mode électoral français est conçu de telle manière que pour être victorieux au second tour d'une élection, les candidats doivent être capables de fédérer autour de leur fanion ceux qui n'ont pas voté pour eux au premier tour. Globalement en France, le FN n'a pas encore cette aptitude fédérative, sauf à la marge. Ainsi, pour l'éditorialiste politique Alain Duhamel, cela signifie «que le plafond de verre existe toujours». «Ça voudra dire que devant l'annonce d'une victoire arithmétique du Front national, un pourcentage suffisant d'électeurs considère qu'il faut savoir changer son vote», expliquait-il sur BFM TV. Chaque camp montre ses muscles En fonction des circonstances, il semblait hier après-midi que les électeurs français avaient décidé de ne pas se laisser forcer la main quant à la guidance de leur région. Un signe était remarquable : la participation en hausse par rapport au premier tour, avec 50,54% à 17 heures, en hausse de près de 7% par rapport à 2010. Toujours est-il que les médias l'annonçaient toute la semaine, insistant pour dire que l'abstention serait la clé du scrutin dont les augures étaient vendredi dernier les derniers sondages favorables à la droite, la gauche et défavorables au FN. Ainsi, droite et gauche sauvaient les meubles en ne partant pas perdants face une vague Front national qui avait beaucoup reflué. Pourtant, les dégâts dans ce type de sinistre politique ne se répareront pas par une soirée électorale où chaque camp montre ses muscles, comme après chaque scrutin. Le répit sera de courte durée ! Si la France a fait preuve de maturité politique et démocratique, ce qui n'est pas en soi une nouveauté, l'avertissement qui se dessine est porteur d'interrogations pour l'avenir. D'abord les équilibres politiques au sein de chaque famille politique. Chez les socialistes où l'appui des écologistes et des communistes aura permis de colmater les brèches. Le président Hollande sera en conséquence de nouveau interrogé sur sa politique droitière qui a conduit au désastre électoral. A droite où le président du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy sort affaibli d'une élection dont il pensait tirer le meilleur pour être en force lors de la prochaine primaire dans son camp pour la présidentielle de 2017. Ses adversaires dans sa famille, notamment l'ancien ministre Alain Juppé, le lui feront savoir. Enfin, ne les oublions pas, les militants du Front national qui ont fait trembler la France pour la deuxième fois après leur bon score aux Européennes l'an dernier ne lâcheront pas la bride à ce qu'ils continuent d'appeler «l'établissement», ne détestant pas un jour de mettre les deux pieds dans le plat tant il leur paraît délicieux.