Une victoire en demi-teinte, voire amère, du Front républicain contre le Front national. Le pire a été évité grâce au sursaut républicain des électeurs. Si le FN n'a emporté aucune région, non seulement il aura des conseillers dans toutes les régions, mais il les multiplie par trois et, au plan national, il se présente comme la principale force d'opposition. La défaite de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais (42,5% des suffrages exprimés), de sa nièce Marion Le Pen dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (46,3%) est à prendre en compte. Les élections régionales des 6 et 13 décembre placent le FN au centre du jeu politique français et de sa reconfiguration, lequel se veut être un parti d'alternance, un mouvement politique en mesure de briguer le pouvoir suprême en 2017. Pour Marine Le Pen, un «mouvement de basculement» politique est «enclenché». Seul contre tous, ainsi se présente le FN. «C'est simple, disait Marine Le Pen à la veille du second tour de dimanche, tous ceux qui n'en peuvent plus de ce vieux système vermoulu sont appelés à voter dimanche pour les listes du Front national, le Rassemblement bleu marine.» Elle prévient qu'en cas de défaite, «cela créera chez les Français un cruel sentiment d'injustice dont ils se vengeront à la présidentielle». Manuel Valls a raison de dire que «le danger de l'extrême-droite n'est pas écarté». Il faudra compter avec cette formation d'extrême droite que 50% des Français (selon de récents sondages) considèrent comme un parti comme les autres et qui ne cesse de progresser au fil des élections. En effet, aux élections européennes de 2014, le FN emportait 25% des voix. Aux départementales de la même année, il arrivait en tête des formations politiques avec 25,24% des suffrages exprimés. Bien qu'il n'ait pas pu franchir le mur du Front républicain du second tour, il vient encore de prouver que ses scores ne sont ni accidentels, ni conjoncturels. Ainsi le FN redessine le spectre politique français qui jusqu'ici était accaparé par les deux partis traditionnels d'alternance au pouvoir suprême : le PS et le Les Républicains (LR) ex UMP. Si le vote FN a profité de la conjoncture — attentats du 13 novembre, crise économique, chômage en hausse, promesses de changement non tenues du PS au pouvoir depuis 2012 —, il traduit un profond mouvement structurel de la société française. Plus qu'une posture de protestation, il existe bel et bien une adhésion aux idées du FN dans la société française. Ses électeurs, qui ne sont pas tous issus des classes populaires, ont le sentiment d'être laissés pour compte, ils sont aussi des cadres moyens, des artisans déçus par la gouvernance socialiste, par le manque de clarté de la droite. Ils disent ne pas vouloir de la gauche gouvernante, mais pas plus de la droite qui empiète sur les platebandes du FN. Le Front national s'est approprié des termes «laïcité», «rassemblement», «république» et en appelle au renversement du «système UMPS». Il a pour lui de n'avoir jamais gouverné, donc il ne peut être jugé sur un quelconque bilan. La stratégie du «vote utile» de Manuel Valls a été payante à court terme. Mais jusqu'à quand le front républicain suffira-t-il pour faire barrage au FN ? L'heure n'est-elle pas à la remise en question, à l'autocritique aussi bien à gauche qu'à droite, au changement de ligne politique ? Une refondation s'impose, tant à gauche qu'à droite. La droite va-telle comprendre — et en tirer les leçons — qu'elle n'a aucun bénéfice à aller sur le terrain de son extrême en faisant de la surenchère au FN ? «Il est nécessaire que nous procédions à un examen approfondi de la nouvelle situation politique qui prévaut en France», a écrit Alain Juppé au lendemain du premier tour sur son blog. Le véritable perdant ne serait-il pas Nicolas Sarkozy, qui s'était présenté comme le meilleur rempart contre l'extrême droite ? L'ancien chef de l'Etat a estimé en outre, mardi dernier, que voter FN n'était «pas immoral» dans l'espoir d'un report des voix de ses quelque six millions d'électeurs. «Ni retrait ni fusion», a ajouté le président des Républicains le soir même du premier tour des régionales, alors qu'une partie de ses électeurs venait de voter FN. «Les responsables politiques doivent construire ensemble», a déclaré de son côté Manuel Valls, se félicitant de l'union de la gauche et esquissant un nouveau mode de gouvernance. Cela signifie-t-il qu'il va se tourner vers sa gauche et s'atteler à la rassembler alors que la popularité du Parti socialiste — qui vient de perdre un de ses fiefs, le Nord-Pas-de-Calais et la plus importante région de l'Hexagone, l'Ile-de-France — s'érode scrutin après scrutin ? Ou s'ouvrir aux personnalités du centre ? Après le décompte des voix électorales, il appartient aux états-majors des partis traditionnels de tirer les enseignements des régionales de décembre 2015. Il reste un an et demi pour la présidentielle de 2017. C'est l'heure du débat, de la clarté et de l'action.