Son corps est une véritable anthologie de la traumatologie, lui qui a reçu tant de balles et de coups dans sa vie, dont huit fois gravement au cours de la guerre d'indépendance. Quant à son cerveau, il force l'admiration tant sa mémoire est demeurée vive pour un plus qu'octogénaire. Mohand Oubelaïd Hocine, auteur de Itinéraire d'un combattant de Larbaa Nath Irathen* apporte un témoignage précieux sur une période dont de larges pans restent méconnus. Dans la profusion bénéfique mais toujours insuffisante de récits du genre, on peut affirmer qu'il se distingue parmi les meilleurs que nous avons pu lire par la richesse de son contenu et la qualité de son écriture. L'auteur s'est attaché à restituer les faits d'une manière claire et précise, tant dans leur description que leur enchaînement. Le style est sobre mais parfait et l'ensemble si bien renseigné et structuré que l'on pourrait penser, chose improbable, que Mohand Oubelaïd Hocine, né en 1934 à Aït Frah, près de Larbaa Nath Irathen, a tenu un journal durant ces années de feu. Tout commence à Lille, au nord de la France, où l'auteur, agent de tri à la gare, complétait ses revenus par des ventes ambulantes. C'est là qu'il apprend le déclenchement de la guerre de Libération nationale et qu'il vit les affrontements fratricides entre le MNA et le FLN, ne tardant pas à opter pour ce dernier. Il raconte ainsi comment l'un de ses cousins, propriétaire d'un café-hôtel, perdra la raison et se laissera mourir après l'exécution de son frère par des messalistes. Ce type d'anecdotes, courtes et incisives, ponctuent le cours du récit, remarquable de concision mais vivant, et l'éclairent d'une dimension humaine extraordinaire. On y voit vivre et combattre les moudjahidine, hésiter ou foncer, souffrir mais aussi rire et même, parfois, écouter de la musique. M. O. Hocine montre qu'ils étaient des héros mais non des surhommes. On y voit évoluer la population à travers des êtres incroyables d'engagement et d'ingéniosité sans lesquels jamais le combat n'aurait pu se prolonger. On y voit aussi les Français : leur armée, ses stratégies et ses tactiques, ses méfaits mais aussi des civils comme les Sœurs Blanches de l'hôpital de Aïn El Hammam ou la doctoresse Boulanger qui n'hésitaient pas à soigner les combattants algériens, dont l'auteur. Si vous voulez savoir vraiment ce que fut au quotidien la guerre de Libération nationale, vous avez intérêt à lire ce livre écrit avec une rare pudeur et un sens élevé de la nuance. Il se termine par l'après-indépendance, chapitre d'à peine une page et demie qui signale les affrontements de 1962, l'épisode du FFS en 1963, l'emprisonnement de l'auteur plus d'une année à Lambèse, la tentative d'assassinat à son encontre en 1973, puis sa participation à la lutte antiterroriste dans les années 90'. On notera enfin, outre un cahier de photos, plusieurs annexes : l'organisation des maquis, les hommes, les opérations, les armes et cet émouvant hommage aux femmes combattantes ou civiles... Un témoignage captivant mais qui, publié à compte d'auteur et distribué gratuitement par ce dernier, risque de ne pas bénéficier de la large diffusion qu'il mérite. A. F. * Mohand Oubelaïd Hocine, «Itinéraire d'un combattant de Larbaa Nath Irathen». A compte d'auteur. Nov. 2015. 364 p.