Depuis quelque temps, les Algériens observent, particulièrement dans les villes, une montée en puissance des nuisances sonores. Les citoyens découvrent un nouveau fléau qui altère leur quiétude et leur santé et agit sur leur comportement. La surdensification du tissu urbain, alliée à la pauvreté des infrastructures routières et à l'explosion du parc automobile ont rendu nos rues et nos artères urbaines obstruées par la circulation automobile et rythmées aux sons stridents des sirènes et des klaxons. Phénomène contemporain, l'Algérien est agressé continuellement par les nuisances sonores. Qu'ils soient domestiques, de voisinage, en milieu du travail ou ceux liés directement au trafic routier ou aérien de proximité, les bruits sont devenus constants et empoisonnent la vie des personnes auditivement sensibles et des autres. Le premier d'entre eux a trait aux embouteillages où l'attente «pare-chocs contre pare-chocs» est déjà en soi une pénible épreuve. S'y ajoute une pollution sonore due à une frénésie (nouvelle) du klaxon agressant les tympans des passants et des riverains. A cela vient souvent s'ajouter le bruit des sirènes des véhicules des services de sécurité et des ambulances, alors que l'urgence n'est guidée que par le désir de leurs conducteurs de se dépêtrer au plus tôt de l'embrouillamini routier. Que n'a-t-on observé sur nos voies express saturées, le passage régulier de voitures de police tentant de se frayer un passage par le biais des hurlements constants et appuyés des sirènes. Interrogée, une source policière nous a indiqué que des instructions sont régulièrement données, appelant les conducteurs de véhicules de police à n'utiliser ce type d'alerte sonore que dans des cas de stricte urgence. Ce genre de sons stridents est encore plus désagréable dans les petites ruelles au grand dam des citoyens dont l'isolation acoustique des habitations, particulièrement celles héritées de la période coloniale, est très poreuse. Aucun sommeil n'est alors possible. Qui peut contrôler ce genre de dépassement sonore ? «Il y a effectivement des niveaux de sonorités qui ne sont pas uniquement imputables aux sirènes et dont la réglementation réprime d'ailleurs l'usage inconsidéré», nous a déclaré un responsable des services de sécurité, mais la police intervient rapidement, estime-t-il, dès qu'elle est saisie par les citoyens en cas de tapage et de désagréments sonores divers, particulièrement nocturnes. N'empêche que de nombreux citoyens d'Alger se plaignent de la gêne sonore qu'ils ressentent lorsque l'hélicoptère de surveillance de la police (qui tournoie quotidiennement dans le ciel de la capitale sans que l'on sache pourquoi) vole à basse altitude. Dans les quartiers populaires ou les rues passantes, des nuisances sont également générées par toutes sortes d'activités, à commencer par les commerçants ambulants qui vous annoncent, à gorge déployée, les produits à la vente, lorsqu'il ne sont pas carrément munis d'un porte-voix. Les sonorités extérieures sont d'autant plus amplifiées (chantiers de construction limitrophes, machines industrielles, ferronneries, menuiseries, etc.), que les habitations urbaines, même celles récentes, ne sont pas dotées de fenêtres et de portes et balcons insonorisés. Ce type d'équipements anti-bruit n'a pas encore pénétré les mœurs des constructeurs nationaux, à cause de leur coût encore excessif. Les particuliers, quant à eux, peinent pour cette raison à investir sur ce type de confort auditif. Avec les désagréments de la vie moderne, il devient pourtant nécessaire, particulièrement la nuit au passage bruyant des engins motorisés à deux roues ou des camions, bus de transport et autres véhicules utilitaires de livraison et des véhicules distillant outrageusement pour nos oreilles de la musique pop ou raï… Ces agressions extérieures ne doivent pas nous faire oublier qu'il a toujours existé des sonorités domestiques exaspérantes, particulièrement dans l'habitat collectif. Le voisin d'à côté la télé exagérément bruyante ou la voisine du dessus se pavanant dans l'appartement en sabots (quebqab) au lieu de pantoufles, lorsqu'il ne prend pas l'envie au locataire du dessous de bricoler en soirée entamée (perceuse, tronçonneuse, marteau, etc.). Des jeunes du quartier qui jouent sur une aire de jeu improvisée jusque tard le soir, des chiens errants qui aboient toute la nuit ou des chats domestiques dont les miaulements nocturnes indisposent vos tympans sont légion dans nos cités. Le civisme à l'égard du voisin n'existe plus comme au temps béni, où celui-ci était «votre premier parent» et ses incommodations prises en compte et respectées. Pis encore, que ce soit dans le milieu du travail, dans les cafés ou même quand il porte à son oreille un téléphone dans la rue, l'Algérien ne sait plus parler avec discrétion, à basse voix : il crie et quand on est plusieurs à discuter à haute voix, cela crée un brouhaha où chacun ne comprend pas ce que dit chacun. Quand vous êtes dans un restaurant par exemple, le serveur, du lieu où vous êtes attablé, presque au niveau de vos oreilles, lance à tue-tête votre commande en direction de la cuisine : «Zoudj loubia, ouahda chorba, tlatha frites-omelette !» Il est vrai que les pouvoirs publics ont des préoccupations plus importantes que de s'occuper de la réduction de la pollution sonore de toutes sortes qui mine la quiétude citoyenne à travers nos villes et villages. Les effets du bruit sont certes aujourd'hui loin d'être une priorité nationale. Pourtant, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que les insalubrités sonores pour l'ouïe ne devraient plus être considérées comme une simple nuisance, mais bel et bien comme un problème de santé publique. Le stress s'est installé durablement chez nous et les Algériens, sans doute agressés quotidiennement par les nuisances sonores et les difficultés de mobilité urbaine, deviennent de plus en plus agressifs eux-mêmes, chicaneurs et râleurs. Les anciens vous diront que les jeunes ont perdu à leur égard les vertus du respect de l'aîné. Nous accordons de nos jours moins d'intérêt à donner de l'amitié et de l'affectivité, à nous rapprocher de l'autre et à nous départir de nos caractères acariâtres, lunatiques et parfois brutaux. Le bruit excessif et au quotidien en est-il une des causes ?