Dans une monographie intitulée «Collage Résistant(s)», Mustapha Boutadjine regroupe 152 œuvres, présentées dans de nombreuses expositions en France, pays de résidence de l'artiste, et dans de nombreux autres pays. Chaque exposition est accompagnée de textes écrits par des écrivains, des journalistes, des artistes, des militants anticolonialistes amis. Quelque 116 auteurs ont ainsi répondu à l'invitation de Mustapha Boutadjine, dont les noms sont mentionnés dans l'ouvrage publié aux éditions helvetius, avec une préface du poète Ernest Pignon-Ernest, une postface de Patrick Le Hyaric, directeur du journal L'Humanité et député européen. L'ouvrage est également accompagné du film réalisé par Hamid Benamra, Bouts de vie, bouts de rêves, qui revient sur une technique inventée par Mustapha Boutadjine, le graphisme collage, qui passe du dessin à la mine de plomb au collage de bouts de papier de magazines déchirés. Enfin, une fresque réalisée par les enfants de Toulouse à l'occasion du festival Rio Loco, reprenant la technique de Mustapha Boutadjine clôt le livre. La monographie de couleur rouge, couleur symbole et fétiche, chère à Mustapha Boutadjine, retrace sa longue carrière artistique qui a commencé en Algérie alors qu'il était encore étudiant, dans les années 70', puis enseignant à l'Ecole des Beaux-Arts d'Alger — une école d'où sont issus de nombreux artistes de talent. Elle est aussi la traduction de tout son engagement d'artiste citoyen, militant de la démocratie, de la laïcité, du progrès et d'une fraternité sans frontières, sans distinction de race, de couleur, d'origine. La seule frontière ou ligne qu'érige Mustapha Boutadjine c'est celle de l'intolérance, de l'obscurantisme, du despotisme et de l'injustice. Collage Resistant(s) représente des milliers d'heures consacrées à dresser les portraits ô combien vivants de héros qui ont nourri l'idéalisme des jeunes algériens des années 70' et 80'. Aussi, on y retrouve des militants et militantes de la Libération nationale de l'Algérie, des militants des droits civiques aux Etats-Unis, des combattants de l'apartheid en Afrique du Sud, des Palestiniens qui se battent toujours contre l'occupation israélienne de leurs territoires, des intellectuels engagés dans la lutte pour la démocratie et l'Etat de droit en Algérie, des artistes comme Hadj M'hamed El Anka ou Dahmane El Harrachi qui ont accompagné, depuis le berceau, la vie de l'enfant de La Glacière, ce quartier populaire truculent et vivant de l'Est d'Alger. Et comme son nom l'indique, Collage Resistant(s) est une véritable œuvre d'art dense d'engagement, de passion pour un art peu commun que nous livre Mustapha Boutadjine. Un livre de luttes pour la dignité humaine C'est aussi un livre de mémoires vives, voire d'histoire, de luttes pour la dignité humaine et l'insurrection contre l'oppression à travers le monde. «On devine le travail minutieux jusqu'à ce qu'il éclaire le portrait réinventé de femmes et d'hommes, célèbres ou moins célèbres, qui pourraient bien former, réunis ici, un Panthéon des luttes et des espérances populaires à travers le monde et les âges», comme le dit si bien Patrick Le Yaric, directeur du journal L'Humanité et député européen dans la postface. «Gitans, Noirs américains, femmes algériennes, figures de résistance, symboles d'une humanité qui cherche à s'accomplir vraiment, ces portraits sont ceux d'insoumis», écrit encore le directeur du journal qui emploie l'artiste. Un livre, «objet de poids et de foi dans l'avenir de l'Humanité», selon le mot de l'éditeur Jacques Dimet. Et de souligner : «De ses doigts agiles, Mustapha Boutadjine donne un sens à l'engagement». Mustapha Boutadjine a été aussi scénographe de pièces de théâtre. «Par le seul effet de la technique qu'il a inventée, les images de Mustapha Boutadjine s'imposent comme des icônes de notre époque, des icônes qui révèlent les injustices, les oppressions et les crimes, qui incitent à la révolte et à l'action plutôt qu'à la prière», écrit pour sa part, dans la préface, Ernest Pignon-Ernest Tamazgha, l'Algérie libre et rebelle La monographie est articulée autour de thématiques. La première est consacrée aux «Femmes d'Alger», et la première de ces femmes exemplaires, la symbolique Tamazgha, la matrice Algérie libre et digne. «Mère de toutes les résistances, des combats, des chants, ouvrière d'espoir et d'engagement. Berbérité... Mère des luttes, des certitudes. Femme de tous les matins à venir qui élève nos maux à dire et nos voix à graver. Liberté», pour reprendre la poétesse Ouahiba Aboun Adjali. Suit une série de tableaux sous la thématique «Sous les pavés, le gitan», où se côtoient des célébrités comme Manitas de Plata, le guitariste et chanteur Chico Bouchikhi, Emilien Bouglione, le prince du cirque, le cinéaste Tony Gatlif (né Michel Boualem Dahmani à Alger, d'un père kabyle et d'une mère gitane), le musicien Django Reinhardt, et d'autres moins connus. Sous la thématique «America Basta», Mustapha Boutadjine brosse par des portraits qui en disent plus long que des livres d'histoire la lutte contre l'impérialisme américain sous les traits de Che Guevara, Fidel Castro, Hugo Chavez, Salvador Allende, la guerre d'Irak, Hiroshima et Nagasaki, l'Intifadha des jeunes palestiniens, Rosa Park, à l'origine de la Marche pour les droits civiques des Noirs américains. Puis, la thématique «Black is toujours beautiful» avec Mumia Abu Jamal, journaliste noir américain condamné en 1982 — à l'issue d'un procès expéditif sous l'accusation d'assassinat d'un policier —, figure emblématique de l'abolition universelle de la peine de mort, le champion de boxe Mohamed Ali, le jazmann Louis Amstrong, Eldridge Cleaver, le porte-parole des Panthères Noires, Angela Davis, Frantz Fanon, Patrice Lumumba, Martin Luther King, Nelson Mandela, Myriam Makeba, et d'autres encore. La thématique «Insurgés» s'ouvre avec les Algériens et Franco-Algériens Abane Ramdane, Boubaker Adjali, Ali La Pointe, Henri Alleg, Maurice Audin, Mohamed Boudia, Jean Ferrugia, Fernand Iveton, Maurice Laban, Henri Maillot, William Sportisse, le Marocain Mehdi Ben Barka, les Palestiniens Mahmoud Hamchari et Salah Hamouri, Ho Chi Minh, le Français Guy Moquet, et d'autres encore. Parmi les poètes, on retrouve notamment Adonis, Sadek Aïssat, Louis Aragon, Youcef Chahine, Mahmoud Darwich, Mohamed Dib, Tahar Djaout, Federico Garcia Lorca, Jean Genet, Kateb Yacine, Marcel Khalifa, Saïd Mekbel, Nizar Qabbani, Arthur Rimbaud, Edward Saïd, Yasmina Khadra, et d'autres. Enfin, la monographie de Mustapha Boutadjine est un clin d'œil à sa famille, tout en pudeur et retenue, cette famille qui a tant compté et fait part, voire corps avec son travail d'artiste. Il la dédie à son épouse, Orkia Benhadj, disparue prématurément en décembre 2013, qu'il connut sur les bancs de l'Ecole des Beaux-Arts d'Alger, artiste spécialisée dans la création textile, à son père Mohamed, dit Hamma, et à sa mère Zoulikha, gracile, vive et agile qui a inculqué à son fils «le respect et la dignité». Mustapha Boutadjine aurait pu «devenir riche et célèbre en tant que footballeur», dit-il dans un grand éclat de rire, en caressant sa moustache et en clignant de l'œil malicieusement, lui qui est passé par quatre clubs algérois : El Kahla, la JSBA, l'USMMC et le CRB. «J'ai persévéré quelque temps en France avec le club de Clichy-sous-Bois, avant de me vouer à l'art.»