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Les binationaux sont devenus des étrangers de chaque côté de la Méditerranée Chafia Mentalecheta. Députée de la communauté algérienne établie en France
Des huit députés qui représentent la diaspora algérienne dans le monde, seuls deux ont boycotté la nouvelle Constitution. Une position qui a provoqué la colère des Algériens résidant à l'étranger, surtout en France, qui contestent les articles 51 et 73. Chafia Mentalecheta, députée de la zone 1 en France, qui a boycotté le scrutin, revient sur cette polémique. - Vous faites partie de la minorité parlementaire qui a boycotté la séance de vote de la nouvelle Constitution dimanche dernier. Pourquoi ? J'ai trouvé anormal que la Constitution algérienne soit révisée pour la troisième fois en moins de 14 ans, sans que le peuple n'ait son mot à dire ni directement via un référendum ni indirectement via un débat démocratique au Parlement. Je suis élue par la communauté nationale établie en zone 1 en France au regard des valeurs que je défends et de mes convictions fondamentales. A ce titre, j'avais des choses à dire au sujet de cette Constitution et en particulier concernant les articles dédiés à la diaspora. En interdisant le débat au sein de l'Assemblée nationale populaire, le pouvoir en place a sciemment empêché la diaspora de lui porter la contradiction et de formuler ses protestations dans le seul espace officiel et constitutionnel d'expression du peuple. Dans les faits et en langage populaire, les hautes autorités ont donc tout bonnement boycotté le peuple. Il n'y avait donc aucune raison valable, y compris et particulièrement en qualité de représentante de ce même peuple que je sois présente à la séance de vote de la Constitution. - Qu'en pense la diaspora algérienne notamment en France ? J'ai fait le choix de passer la journée du vote du 7 février dernier auprès de nos compatriotes en France pour partager leur tristesse et essayer de transformer leur colère en mobilisation pacifique et citoyenne. Des associations organisaient une votation citoyenne dans le Val de Marne, je suis allée à leur rencontre. J'ai pu constater sur le terrain combien le désarroi, l'incompréhension et la désolation étaient sur toutes les lèvres. Le fossé est bien et bel creusé entre nos dirigeants et nos compatriotes établis à l'étranger. Cet acte brutal d'exclusion, posé gratuitement, restera, me semble-t-il, gravé longtemps dans la mémoire de la diaspora qui n'aspire pas dans sa grande majorité à occuper des hautes responsabilités ou des fonctions politiques. Car, entendons-nous bien, la protestation des binationaux n'est pas une controverse qui porte sur la matérialité des postes, mais une contestation basée sur le principe de la pleine citoyenneté, de l'entière algérianité et du rejet de la suspicion systématique et de la stigmatisation. - Parlons justement de ces deux articles, 51 et 73, largement contestés par la diaspora, notamment en France… Les arguments avancés sur la nécessaire protection de la souveraineté de l'Etat ont contribué à amplifier l'indignation de nos compatriotes établis à l'étranger. Dénigrer ouvertement leur patriotisme sous prétexte de multinationalité est une offense à leur dignité et une insulte à l'histoire. La nationalité exclusive n'a jamais été l'inaltérable synonyme de défense de la patrie, sinon que dire de Frantz Fanon, Maurice Audin, Fernand Yveton, Francis Jeanson et tant d'autres qui se sont sacrifiés aux côtés de Larbi Ben M'hidi, Mustapha Ben Boulaïd, Hassiba Ben Bouali et tous nos martyrs pour permettre aux Algériens d'être des citoyens égaux en droits et en devoirs dans une Algérie libre et indépendante. - Sur les 8 députés de la diaspora, seuls vous et Belkacem Amarouche, député FFS de la zone 4, ont boycotté. Comment un député peut-il approuver des articles qui vont à l'encontre de son électorat qui ne peut plus aspirer maintenant à des postes de responsabilité ? Concernant mes collègues, je crois que c'est à eux qu'il faut poser la question. Je ne souhaite pas répondre à leur place. Quant à la diaspora, elle est bien évidemment surprise, surtout après les prises de position très déterminées de certains de mes collègues contre l'article 51. Il faut attendre les prochaines échéances électorales pour savoir quelles seront les conséquences des différents positionnements. Chaque prise de position peut être sujette à incompréhension, y compris la mienne concernant le boycott. Et même si nous sommes élus, je sais que nous ne pouvons pas représenter la pensée de chacune et chacun pris individuellement. L'essentiel est donc d'être en conscience avec soi-même, de rester fidèle aux engagements pris pour pouvoir assumer sereinement sa responsabilité devant les citoyens. - Les binationaux font aussi l'actualité en France sur la proposition de la loi sur la déchéance de la nationalité. Cette communauté qui se sent aujourd'hui visée par les deux pays, comment vit-elle tout cela ? En effet, la déchéance de la nationalité proposée par le Président français a suscité également de grands questionnements. Très vite, la société civile et les parlementaires français se sont emparés du sujet. La qualité et la puissance du débat ont d'ores et déjà permis que la terminologie «binationaux» soit exclue du texte constitutionnel car les parlementaires français et particulièrement ceux issus de la majorité présidentielle ont refusé qu'une catégorie de citoyens soit discriminée du fait de ses origines. Mais, curieusement, nous avons constaté une réelle similitude dans les arguments des défenseurs de la déchéance de la nationalité et ceux de l'article 51. Comme si les gouvernants en général et une certaine classe politique en particulier n'avaient trouvé que la solution du repli sur soi pour remédier aux effets de la mondialisation. Et, de fait, les binationaux sont devenus des boucs émissaires de choix mais aussi des étrangers de chaque côté de la Méditerranée. La similitude dans le timing a également surpris. Les deux pays ont pris la décision de réserver un sort à leur société commune pratiquement en même temps. Cependant, le résultat escompté ne sera, de toute évidence, pas le même d'une rive à l'autre. - Selon vous, l'adoption de ces deux articles aura-elle un impact sur les relations binationaux - Algérie ? Les Algériens binationaux ou non font la différence entre les dirigeants et le pays. Personne et pas même un article inscrit dans la Constitution ne peut les priver de leur algérianité, leur faire oublier leurs racines et diminuer leur ferveur pour leur pays d'origine. Si la rupture du pacte de confiance est consommée avec les responsables de cet article 51, l'Algérie restera toujours bien plus grande aux yeux de tout le peuple algérien, binationaux y compris. La diaspora dans son ensemble est tout à fait consciente de son rôle de premier rempart contre les velléités de déstabilisation du pays. Tous les spécialistes internationaux en géopolitique s'accordent à dire que sans sa communauté aussi nombreuse et autant attachée à ses racines, l'Algérie aurait déjà fait les frais d'un scénario à la libyenne ou à la syrienne. Il n'est pas nécessaire de sortir de Sciences Po pour savoir que notre pays, encerclé de toutes parts, est une cible de choix. C'est une raison supplémentaire pour ne pas tomber dans le piège de la division. Consciente de cela, la diaspora va renforcer ses relations familiales et populaires et va être encore plus attentive à ce qui se passe dans le pays. Mais elle continuera aussi à se mobiliser pour défendre l'indivisibilité du peuple afin de lutter contre les discriminations et pour participer à la construction d'une Algérie forte et leader africain.