Pour beaucoup de travailleurs qui attendaient impatiemment l'annonce d'une revalorisation des salaires, le dernier accord intervenu entre la centrale syndicale, le patronat et le gouvernement sur cette question représente une avancée positive. Malgré tout ce que l'on peut dire sur cette mesure qualifiée par certains travailleurs de "petit saupoudrage" sur l'une des questions sociales les plus épineuses, la hausse des salaires décidée par la Tripartie a été globalement bien accueillie par les différentes couches des travailleurs algériens. Qu'ils dépendent du secteur public, privé ou de la Fonction publique, les quelques travailleurs que nous avons interrogé sur cette question sont en tout cas unanimes à penser que l'augmentation des salaires donne, certes, une bouffée d'oxygène au salariés mais "ne règle pas le problème du pouvoir d'achat très faible des Algériens". Au lendemain de l'annonce des augmentations, aucune euphorie particulière n'était perceptible chez beaucoup de travailleurs. "Cela fait plusieurs année que je touche à peine le salaire minimum (SNMG) et, tant que la revalorisation dont ils parlent n'entrera en vigueur que l'année prochaine sans effet rétroactif, il est hors question que je crie victoire". Abderrahmane, agent de terrain employé à l'entreprise ASROUT (une EPIC chargée de l'assainissement des routes), dit devoir attendre prudemment de voir cette augmentation notifiée dans sa fiche de paye avant de s'enthousiasmer. Son collègue, Mohammed, occupant également le même poste, déplore pour sa part toute cette médiatisation qui se fait autour de cette question et affirme que ces augmentations ne changeront pas grand-chose à son pouvoir d'achat laminé par la cherté de la vie. "Je gagne environ 9000 dinars par mois, ma femme ne travaille pas, j'ai deux enfants, je paie un loyer de 3 000 dinars", s'exclame Mohammed. "Certes, je ne vais pas cracher sur cette augmentation, mais allez demander à n'importe qui si quelques dizaines de dinars de plus vont changer quoi que ce soit à ma situation", confit-il. Et d'ajouter : "S'il s'agit d'une revalorisation du salaire minimum comme celle décidée il y a quelques année où l'augmentation était imposable, je ne vois pas comment un travailleur smicard comme moi pourrait s'en réjouir outre mesure, du moment qu'il ne restera des deux mille dinars de plus qu'une dizaine de dinars après imposition". Il faut dire en effet que le dernier relèvement du SNMG, passé de 8 000 dinars à 10 000 dinars, a eu peu de conséquences sur les faibles salaires, en ce sens que l'augmentation en question était imposable et, du coup, n'a pas trop profité aux smicards déjà affaiblis par la réalité de la hausse des prix de la quasi-totalité des produits consommables. C'est d'ailleurs cette modicité de l'augmentation des salaires face à un coût de la vie de plus en plus cher que beaucoup de salariés évoquent. Enseignant dans un lycée à Alger, Hocine, la quarantaine, ne semble pas très porté sur une discussion limitée aux aspects socio-économiques. Mathématicien comme il est, il préfère parler chiffres. "Ce même syndicat qui a arraché ces augmentations avait fait une étude dont la conclusion dit qu'un SNMG même à 15 000 dinars est insuffisant. L'étude a montré qu'une une famille de 6 personnes dépense plus de 15 000 dinars par mois dans la nourriture et l'éducation. Il est toujours bien d'augmenter les salaires, mais cette "disproportionnalité" avec le coût de la vie montre bien que l'écart est énorme". Bien qu'il juge positif le fait d'augmenter les salaires, notre interlocuteur ne manquera pas de relever cependant que dans la Fonction publique, secteur dont il dépend, l'augmentation de 20 ou 25% n'est pas suffisante. Selon lui, il faudrait beaucoup plus que cela pour amortir les effets d'un quotidien de plus en plus cher. "Le calvaire est total chez tous les chefs de familles. Ils n'ont pas encore fini de pleurer l'augmentation des prix de l'électricité, de l'eau ou des produits de première nécessité, voilà le Ramadan qui débarque. Et qui dit Ramadan, dit dépenses. Pire encore, ce mois a coïncidé avec la rentrée des classes qui demande des dépenses colossales pour pouvoir subvenir aux besoins des enfants. Si ce n'est pas l'habillement, ce sont les fournitures scolaires ou les frais d'inscriptions", témoigne l'enseignant. " La vérité est que, au moment où la Fonction publique va connaître un nouveau statut, ces taux d'augmentation peu conséquents risquent de compromettre la qualité des services publics. Pour être rentable et dynamique, la Fonction publique a besoin d'une politique de rémunération ambitieuse", renchérit Hocine. Si tel est le cas dans ce secteur qui emploi 1,5 millions de fonctionnaires, qu'en est-il du secteur privé ? Interrogé sur cette hausse des salaires entérinée par le patronat lors de la Tripartite, Slimane, un cadre comptable dans une société de produits agroalimentaires, dit être sceptique quant aux conséquences que ces augmentations auront sur les travailleurs mais aussi sur la vie des entreprises privées. Pour lui, "il était temps qu'une telle décision soit prise pour améliorer, un tant soit peu, le pouvoir d'achat des salariés". Il n'en demeure pas moins, que les 10% ou 20% d'augmentation dans ce secteur risque, selon lui, "d'avoir des répercussions négatives sur certaines entreprises dont l'état financier est mal en point". Du coup, "ce sont les travailleurs qui finiront par payer les pots cassés", lance-il. Car, "Quand bien même une augmentation salariale est aujourd'hui nécessaire, celle-ci ne doit pas mettre en péril la pérennité des postes de travail", explique notre interlocuteur. Beaucoup d'entreprise dont les préoccupations ne sont pas prises en charge par les autorités, "se verront contraintes de réduire leurs effectifs afin de préserver une masse salariale qui ne nuit pas à leurs finances", pense le cadre comptable. "C'est là où l'Etat devrait intervenir pour favoriser une baisse des charges au profit de ces entreprises. Autrement, la révisons à la hausse des salaires dont on nous parle ne profitera pas à l'ensemble des travailleurs du secteur privé", souligne encore Slimane. "En tant que cadre qui touche 30 000 dinars par mois, une augmentation de 10% me réjouie certainement. Il faut cependant penser à l'avenir de l'entreprise et aux conséquences fâcheuses que pourrait avoir l'application d'une mesure insuffisamment préparée", conclut-il.