Les capacités de nuisance de la monarchie saoudienne, l'Etat algérien les «découvre» aujourd'hui alors qu'elles sont connues depuis bien longtemps. Elle remontent aux années 1970 et 1980, quand l'Algérie s'était dotée d'une politique socialiste et d'options anti-impérialistes ciblant particulièrement les Etats-Unis, l'allié stratégique de Riyad. Ce fut également le temps des prises de position pro-palestiniennes tranchées (Front du refus) et, au plan interne, l'affichage d'une certaine orientation moderniste davantage tournée vers l'Occident que vers l'Orient. Les Saoudiens avaient tout cela en aversion et ils le faisaient savoir aux Algériens, ouvertement ou indirectement. Ils ont préféré de loin Rabat à Alger, accordant un soutien total à la monarchie marocaine, y compris militaire, l'appuyant dans sa politique d'annexion du Sahara occidental. Les provocations anti-algériennes sont multiples, notamment à la Ligue arabe entièrement contrôlée par Riyad. Mais force est de relever que la riposte de notre pays, notamment ces dernières années, n'a jamais été forte, du moins à la hauteur des provocations. Dernièrement, l'Etat algérien a actionné la diplomatie pour dénoncer la décision saoudienne d'investir économiquement au Sahara occidental, une immixtion grave dans le conflit sahraoui. Riyad entendait ainsi «pénaliser» l'Algérie pour son refus de rejoindre la coalition arabe contre le Yémen. On ne sait jusqu'où ira la crise actuelle entre les deux pays et si Alger ne sera pas tentée, comme de tradition, de «calmer le jeu» en invoquant une quelconque realpolitik — en sacrifiant par exemple le ministre des Affaires religieuses, bête noire des Saoudiens. Mais le fait probant est qu'aujourd'hui, en découvrant les capacités de nuisance de la monarchie wahhabite, le gouvernement algérien rejoint tous ceux qui, depuis bien longtemps, ont attiré l'attention des autorités sur l'hostilité historique de l'Arabie Saoudite et sur le danger qu'elle représente pour la stabilité et la sécurité du pays par sa politique d'exportation du salafisme. Dans les années 1990, transitant par le biais de divers canaux, notamment par des ligues, des associations et des princes, les pétrodollars du royaume ont alimenté avec générosité les caisses des partis et des associations algériennes qui cherchaient à ancrer le salafisme wahhabite au sein de la société, pour finalement venir financer les groupes terroristes à l'origine de la tragédie qu'a vécue notre pays. L'Algérie a toujours été une des cibles de choix de la stratégie globale saoudienne en direction du monde arabo-musulman visant à orienter dans chaque pays les comportements des mouvements religieux contre les démocrates et les laïcs pour les neutraliser et les anéantir. Cette stratégie, qu'elle partage avec d'autres Etats du Golfe, s'est exacerbée depuis l'apparition du Printemps arabe appréhendé au départ comme révolutionnaire, c'est-à-dire destiné à balayer toutes les dictatures et les royaumes arabes avant qu'il ne soit dévoyé, c'est-à-dire récupéré par les régimes en place ou les groupes islamistes. Seule «rescapée» du Printemps arabe, la Tunisie paye actuellement le prix de son émancipation politique. Elle est lourdement attaquée, ainsi que la Libye voisine, par Daech dont la doctrine et les objectifs la rapprochent de la monarchie saoudienne. Celle-ci voit d'un bon œil le fait que l'Etat islamique autoproclamé combat les chiites partout où ils sont, des ennemis «héréditaires» à abattre, à leur tête l'Iran, qui retrouve sa puissance à la faveur du dégel nucléaire avec l'Occident.