Lors du dernier Salon du Livre de Paris qui s'est achevé dimanche dernier (lire ci-contre), le Centre national du Livre fêtait son anniversaire. Beaucoup découvraient avec surprise que cette institution culturelle française atteignait ses 70 ans d'existence. Créé après la Deuxième Guerre mondiale, le CNL est devenu un formidable outil de soutien alimenté par une taxe sur l'édition. Vénérable mais dynamique, il contribue chaque année au soutien de quelque 3000 projets au profit des librairies, auteurs, traducteurs, bibliothèques, manifestations littéraires, livres et revues. Un effort qui, en dépit de la crise économique, se poursuit avec vaillance. Plutôt que de ronronner sur son glorieux passé, le CNL a préféré se tourner vers l'avenir, offrant, entre autres, dans son bel amphithéâtre au salon, des grands débats sur «Le livre demain». Huit moments forts interrogeant les perspectives du livre dans toutes ses dimensions : territoires, enjeux, concentration, modèles, lectorats, etc. La dernière rencontre du cycle s'intitulait «Demain, tout écrire, tout publier ?» avec les Français Thierry Leroy et Pierre Maniglier, l'Egyptien Alaa Al Aswany et notre compatriote Boualem Sansal. Etant pris par une autre rencontre, je n'ai pas pu y assister. Mais je me suis demandé si Boualem Sansal avait laissé dire une fois de plus qu'il était interdit en Algérie. Il est sûr qu'un écrivain tourmenté entre mieux dans la mythologie littéraire et les spécialistes en marketing éditorial le savent sans doute mieux que les défenseurs de la liberté d'expression. Affirmer ainsi que cet auteur est interdit en Algérie quand tous ses ouvrages sont bel et bien présents dans quasiment toutes les librairies du pays, et souvent en vitrine, relève de l'aberration sinon de la manipulation. Et que l'auteur concerné ne le démente pas, relève d'une sorte de coquetterie impardonnable pour son envergure. Craint-il encenser le pouvoir politique ? Il est de bon ton qu'un auteur soit rebelle à l'autorité, comme il est de bon ton pour celle-ci de le laisser s'exprimer. Mais que l'on cesse enfin d'affirmer que les livres de Boualem Sansal «sont interdits dans son propre pays» (j'aime bien la dramatisation par l'adjectif «propre»). Si nous avons des territoires de liberté à conquérir – et ils ne manquent pas –, autant connaître ceux dont nous disposons et, si possible, nous en réjouir. Il est des écrivains qui n'ont pas besoin d'être interdits pour se distinguer et Boualem Sansal est de ceux-là. La qualité de son écriture et la richesse de son imaginaire établissent ses œuvres sur un rang élevé. Qu'on les aime ou pas relève des goûts littéraires de chacun, mais nul ne peut dénier à leur auteur sa stature. Comme lui ne peut nier que ses livres sont vendus dans son «propre» pays. Car comment pourrait-il expliquer les nombreux lecteurs et lectrices qui l'y lisent et l'admirent souvent ? Et ce n'est pas l'Etat qu'il offense ainsi mais bien tous ces anonymes qui ont forgé son renom.