Le président français Jacques Chirac est-il le dernier ami occidental des Arabes ? Y aura-t-il une politique arabe de la France après son départ au mois de mai prochain ? Quels sont les acquis français en termes de politique étrangère depuis que Jacques Chirac a pris les commandes de l'Elysée ? Reste-t-il encore des amis à un homme qui s'est toujours proclamé gaulliste et proche de plusieurs dictateurs et roi arabes ? Autant de questions auxquelles deux journalistes de Libération, Eric Aeschimann et Christophe Boltanski, ont tenté de répondre dans le livre : Chirac d'Arabie : les mirages d'une politique française, paru aux éditions Grasset. On apprend qu'au Maghreb, où le président français compte beaucoup d'amis, les choses changent subrepticement en sa défaveur. Ainsi, avec la disparition de Hassan II, il a perdu un grand ami marocain. Son fils, Mohamed VI, bien qu'il regarde vers Paris, a l'esprit résolument tourné vers l'Atlantique. Avec Bouteflika, que Chirac a profondément soutenu et visité en 1999, les relations ont pris un coup de froid à cause, entre autres, du fameux article qui glorifie la colonisation française et de sa position quasi affirmée en faveur de la dite « marocanité » du Sahara-Occidental. Et ce n'est pas aux yeux de la Tunisie, fermée à double tour, que Chirac trouve grâce. Après s'être longtemps compromis avec le régime de Ben Ali, en faisant mine d'ignorer les atteintes aux droits de l'homme et la torture, il a préféré prendre ses distances. En Arabie, bien qu'il dispose de nombreuses amitiés auprès des monarchies pétrolières, Jacques Chirac ne reconnaît plus la nouvelle génération de rois et de sultans. La mort de cheikh Zayed, roi des Emirats arabes unis et grand ami de Chirac, a laissé la porte grande ouverte aux Américains. Son successeur, Khalifa Ben Zayed, n'entretient pas avec lui de relations particulières. Tout simplement, ils ne se connaissent pas bien. Entre les deux pays, il ne resterait que les relations diplomatiques d'usage. Même scénario en Arabie Saoudite ; en dépit des nombreux voyages du chef d'Etat français à Ryadh, le résultat demeure mitigé. Voire même frustrant. Car bien qu'il soit toujours bien reçu par la famille royale saoudienne, il revient souvent bredouille. Ce sont les Américains qui passent après et qui raflent la mise, en signant des contrats et en concluant des marchés. Au Moyen-Orient, malgré les risques pris par Chirac en se rangeant parfois du côté palestinien, cela ne l'a pas trop servi. Le successeur de Yasser Arafat ne l'intègre pas beaucoup dans ses calculs politiques et géostratégiques. Idem avec le président syrien Bachar Al Assad, avec lequel Chirac s'est définitivement fâché après l'assassinat du feu Premier ministre libanais Rafic Hariri. Même le Hezbollah que la France n'a pas inscrit dans la liste des organisations terroristes, comme l'ont fait les Américains, n'est plus d'humeur à dialoguer avec le président français après que ce dernier ait soutenu la résolution 1559, obligeant le « parti de dieu » à se désarmer. Les exemples peuvent se multiplier par dizaines. Que reste-t-il donc de la politique arabe de Chirac, s'interrogent les deux écrivains ? Pas grand-chose depuis qu'il a poussé trop loin le défi français face aux Etats-Unis. Considéré comme l'un des derniers des Mohicans proarabes, Chirac se retrouve trahi par ces mêmes Arabes qui disent le soutenir, mais qui, en coulisse, donnent un coup de main à Washington. Les exemples ne manquent pas. On peut citer, entre autres, le roi Abdallah de Jordanie, le président égyptien Moubarak, le roi marocain Mohamed VI… Chirac va-t-il se retrouver seul à quelques mois de la fin de son mandat, ou sera-t-il contraint de faire la paix avec les Américains ?