Instrumentistes et artistes lyriques dévoués à l'œuvre de Mozart, livret mis au goût du jour, l'opéra Cosi fan tutte a gagné en efficacité. Le metteur en scène, Christophe Honoré, a apporté un œil neuf à l'opéra de Mozart, Cosi fan tutte (1790), à l'affiche cette année du Festival d'Aix-en-Provence. Il a dépoussiéré l'un des ouvrages les plus emblématiques de l'univers mozartien, lui apportant des couleurs inédites, y révélant un caractère assez sombre et léger. Dans la chaleur aixoise de ce début juillet, le chef d'orchestre, Louis Langrée, a, pour sa part, démontré la présence éternelle de la musique de l'illustre compositeur, dirigeant au plus près des chanteurs et chanteuses qui ont tout donné. Pour le maestro, pétri de l'œuvre de Mozart, l'important est de ne pas «chercher à s'interposer entre le compositeur et l'auditeur. Il faut le rendre inconsciemment sensible à l'organisation et à l'équilibre de tous les aspects de l'œuvre, le placer dans un état de perception nouveau». D'un coup de baguette de chef, musique et histoire prennent du sens. D'ailleurs, chez Wolfgang Amadeus Mozart, continue Louis Langrée, dans un entretien au festival, le théâtre est partout, jusque dans «les pièces sacrées» comme ses Messes ou le célèbre Requiem. L'œuvre se délie, est décodée, mise en forme. Christophe Honoré a tapé fort en accompagnant sa scénographie d'un déroulé très souple des musiciens et chanteurs. Il transporte le spectateur depuis le marivaudage ancien jusque vers les temps modernes. UN REGARD TEINTé D'UNE ACIDITE ENVERS L'ABJECTION COLONIALE Honoré a situé le cadre de l'histoire dans l'Erythrée de la fin des années 1930, alors visée par l'expansionnisme colonial du régime italien de Mussolini. Avec ce retour vers le futur, le réalisateur durcit la simple et vaporeuse histoire de deux hommes qui, pour tester l'amour et la fidélité de leurs fiancées, vont faire mine de devoir partir à la guerre. Le maître d'œuvre de cette supercherie, Don Alfonso, a parié avec eux qu' «elles font toutes la même chose» (Cosi fan tutte en italien) et que leur confiance sera abusée. Déguisés en Africains, les deux hommes de retour vont-ils séduire les belles, chacun entreprenant la fiancée de l'autre ? Lorsque Mozart créa avec le librettiste Da Ponte cette histoire, elle fit relativement scandale, en montrant des hommes et des femmes infidèles. Aujourd'hui, elle amuse plutôt par son caractère insolite et tellement improbable, tant les mœurs ne sont plus les mêmes. Non pas que la fidélité soit une valeur caduque, mais la technique du déguisement, propre aux artifices théâtraux à cette époque (XVIIIe siècle), semble dépassée. Justement, c'est ce déguisement que Christophe Honoré pousse au bout, évacuant la possible misogynie originelle dans les intentions de Mozart et de son librettiste. Christophe Honoré accentue la démonstration en affirmant que toutes, mais aussi tous, font la même chose. Enfin, dans cette transposition en terre africaine, le regard est teinté d'une acidité envers l'abjection coloniale, qui asservit les corps autant que les esprits, masculin et féminin en un vice-versa. Il rejoue «une histoire coloniale comme tragédie et comme farce» qui apporte une «attention nouvelle, inconfortable et stimulante». On ressent du bonheur et un sentiment ineffable qui nous étreint devant ce «Cosi» réaliste, si proche de la condition humaine, nourri des tourments de l'homme et de la femme en proie au désir vaniteux et incontrôlable érigé en fanion victorieux. On se met à penser à Don Giovanni du même Mozart (qui sera donné en 2017 à Aix). Ce personnage trop sûr de lui, collectionneur de gloriole en remplissant son tableau de chasse féminin et qui finit dans les enfers. Christophe Honoré résume l'art et la manière jubilatoire de Mozart qui touche : «Chaleur, sensualité, violence, amour, voilà nos points cardinaux. Entre eux la musique de Mozart s'installera avec joie et elle régnera sur nous comme un rayon de midi, impossible à fixer des yeux mais nous brûlant gaîment.» C'est pourquoi le génie passe allégrement les siècles.