Les habitants de l'ancien Zaïre se croisent les doigts. Ce serait une situation idyllique, en tout cas celle qui convient le mieux à des joutes électorales. Mais cette fois, ils prient pour que le pire ne se produise pas à l'occasion du deuxième tour de l'élection présidentielle qui se tient aujourd'hui. La campagne a été ternie jeudi par des accrochages meurtriers entre partisans du sortant Joseph Kabila et du vice-président Jean-Pierre Bemba. Le calme régnant à Kinshasa vendredi matin cachait mal la tension ambiante, alors qu'en province, les incidents, quasiquotidiens depuis le lancement de la campagne du second tour mi-octobre, se sont soldés jeudi par la mort d'au moins cinq personnes. A Kinshasa, « la situation est très calme, même si la psychose ne fait qu'augmenter », a déclaré vendredi le porte-parole adjoint de la Mission de l'ONU en RDC (Monuc), Jean-Tobie Okala. « Nous lançons une fois de plus un appel à la population à ne pas céder à la panique et nous attendons le même appel des deux candidats en lice à leurs sympathisants », a-t-il ajouté. « On est dans une logique d'affrontements, d'abord électoral puis armé à mesure que les résultats vont tomber », estime un diplomate occidental, avant d'ajouter, en référence au coût du processus électoral supporté presque entièrement par la communauté internationale : « Dépenser 500 millions de dollars pour arriver à ce résultat, c'est vraiment déprimant. »C'est dans un tel contexte que 25 millions d'électeurs seront appelés aux urnes aujourd'hui afin de départager deux hommes qui ont gouverné ensemble pendant la transition politique initiée en 2003, après s'être combattus pendant près de cinq ans au cours d'un conflit meurtrier qualifié de « guerre mondiale africaine » par le nombre d'Etats impliqués (sept). Ce scrutin est combiné à l'élection des députés provinciaux — qui éliront à leur tour sénateurs et gouverneurs de provinces. Le succès de ces premières élections libres et démocratiques en 41 ans dans l'ex-Zaïre serait un facteur de stabilisation régionale et ouvrirait la voie à la relance économique d'un pays doté d'immenses ressources naturelles, mais ruiné par des décennies de conflits et de mauvaise gestion. Joseph Kabila a raflé au premier tour 44,8% des voix, contre 20% à Jean-Pierre Bemba. Il s'est assuré pour le second du soutien de poids du vieil opposant Antoine Gizenga (13%) et de celui, plus symbolique, de Nzanga Mobutu (4,8%), fils du dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko. Son alliance avec Gizenga, chef du Parti lumumbiste unifié (Palu), dont les militants sont réputés pour leur discipline, devrait lui apporter des voix dans l'ouest, où il fait des scores médiocres au premier tour. En cas de victoire, le Premier ministre sera issu des rangs du Palu, probablement Gizenga lui-même. De son côté, Jean-Pierre Bemba a récupéré dans le giron de l'Union pour la Nation, sa plate-forme électorale, une quinzaine de petits candidats du premier tour et quelques dissidents de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de l'opposant Etienne Tshisekedi qui boycotte le processus électoral. Dirigeant populiste, Bemba cherche le soutien de militants de l'UDPS à Kinshasa et au Kasaï (centre), où plus de 2 millions d'abstentionnistes restent à convaincre.Le ralliement tardif du Dr Oscar Kashala (3,5%), originaire du Kasaï, pourrait gonfler légèrement son score dans ces régions centrales. Pour un expert électoral occidental, « Kabila reste favori, mais s'il était mis en difficulté, il y aurait un risque sécuritaire parce que son entourage n'est absolument pas prêt à accepter une défaite ». Le jeu politique, avec ses alliances normales lors d'élections, reste donc très aléatoire, et même très théorique, puisque la force est présente, et toujours prête à servir d'ultime argument. Il semble donc hasardeux de parler de démocratie.