Tout visiteur qui se rend pour la première fois dans la capitale du Titteri, après avoir fait un tour d'horizon dans la ville, ne cache pas tout de suite ses regrettables impressions. Avec un air de stupéfaction sur le manque flagrant d'espaces destinés aux loisirs et à la distraction au sein d'une aussi charmante cité pleine d'atouts et de potentialités touristiques. C'est le black-out perpétuel qui plonge la cité millénaire dans l'ennui, la monotonie, les longues journées chaudes de l'été en plus de la disette de moyens adéquats pour satisfaire le vœu et le désir des milliers de jeunes des quartiers. Médéa est dotée d'une seule piscine située au complexe sportif Imam Lyes, souvent en panne et sa capacité contingentée se trouve aujourd'hui largement dépassée. Une autre a été projetée, mais malheureusement son achèvement traîne en longueur depuis plusieurs années sans aucune explication. Aussi, le chef-lieu de wilaya ne compte qu'une seule maison de la culture, Hassan El Hassani, dont la capacité d'accueil a été conçue pour une population des années 1970, alors qu'elle a triplé aujourd'hui. Ce manque d'infrastructures accule forcément les nombreux jeunes et moins jeunes à raser les murs et à s'adonner à des jeux dangereux pour les uns et pour d'autres, ils vont carrément commettre des actes criminels et délictuels. Les tableaux périodiques des statistiques en constante ascendance dressés par les services de sécurité témoignent de ce phénomène inquiétant. L'oisiveté est mère de tous les vices, dit-on. Si ailleurs, l'été peut être synonyme de loisirs et de détente, ici, en revanche, il n'est question, le plus souvent, que de lassitude et de désœuvrement. Car le besoin en loisirs pour la population locale n'a jamais été une priorité absolue pour les responsables locaux lors des suggestions des plans de développement de la région. Pourtant, des sites paradisiaques inestimables existent, pour ne citer que la dense forêt attractive de Tibhirine, située à quelques encablures sur les hauteurs du centre-ville de Médéa, ou le fabuleux lac de Tamezguida… Les responsables ont toujours tourné le dos au secteur du tourisme. Devant cette situation, la majorité des moins de 30 ans, plus de 60% des habitants, y traîne, comme un boulet aux pieds, une existence terne et sans but, pleine uniquement de chahuts et de violences. Après l'école, c'est le vide… Après l'école, c'est vraiment le grand vide qui se nourrit de chimères et se meurt de trop attendre. Les plages sont loin pour ceux qui ne peuvent se les offrir Il y a, malheureusement, parfois, d'autres solutions… ce n'est plus un tabou, entre autres, le petit joint pour voyager gratis. Il n'y a là rien d'insurmontable, si au moins le secteur de l'économie privé pouvait débloquer la situation en offrant des débouchées à cette jeunesse désœuvrée. L'investissement est en état embryonnaire et n'arrive pas encore à décoller, donc la création d'emplois est au point mort et le nombre de chômeurs continue à croître. Aussi la sévère restriction prise pour les contrats du préemploi ces dernières années a accentué la crise du chômage dans la région. Il est aussi navrant de constater, chaque matin, le spectacle de ces bus bondés de jeunes ruraux sans qualification fuyant leur faubourg agricole limitrophes pour grossir le lot de la délinquance au niveau de la cité. Les uns seront versés dans le commerce informel où le gardiennage de voitures, d'autres seront enrôlés dans des bandes de malversations. L'étau s'est aussi resserré aujourd'hui sur les demandeurs de microcrédits auprès des agences de l'Angem, l'Ansej ou la CNAC, où on exige maintenant au postulant de se munir d'un diplôme en bonne et due forme pour prétendre à la création d'une unité de production en respectant la spécialité de la formation. La culture se fait rare en ces temps de disette En cette conjoncture avec des poches vides, on ne saurait parler à un jeune d'activités récréatives ou culturelles, sans verser dans l'affront ou la stupidité. Celles-ci, quand elles existent, sont essentiellement concentrées au niveau de l'étroite salle de spectacles de la maison de la culture, où la majorité des jeunes doit repasser une autrefois par défaut d'espace et encore… Ce serait même une incongruité si on en parlait à certains jeunes. Le vide est éloquent, il n'a pas besoin de tribuns. La seule semaine culturelle nationale Hassan El Hassani, dédiée au théâtre comique, abritée annuellement à Médéa, vient de prendre un mauvais coup après dix années de sa création en décidant son espacement une fois tous les deux ans, laissant ainsi les adeptes habitués à cet événement et les amoureux du 4e art perplexes et frappés de stupeur. Quelques associations caritatives font preuve également d'initiatives avec des moyens du bord pour animer des soirées théâtrales et musicales, mais elles ne peuvent masquer une situation à Médéa où la culture demeure encore le parent pauvre dans l'ordre des préoccupations locales. Le loisir, quant à lui, est le privilège d'une minorité, tandis que l'écrasante majorité de la jeunesse est forcée, sous un soleil de plomb en ce mois d'août, à l'oisiveté et à la monotonie en l'absence d'espaces de détente et d'activités ludiques. Pour échapper à l'étuve surpeuplée de la cité dortoir ou à l'étreinte létale d'un quotidien, où il ne se passe rien, les ados sont contraints à autre chose : arpenter les rues, en traînant nonchalamment les semelles, à la recherche d'un petit coin ombragé ou dans le refuge habituel des petits copains de la houma, à des veillées interminables où règnent, la bride sur le cou, la chimère et l'imagination. Nous ne pouvons quand même pas dissimuler notre crainte, face aux spectacles de ces milliers de bambins qui, échappant à tout contrôle parental, sont devenus des noctambules avérés. Ne sachant durant les vacances scolaires comment meubler leur temps libre, ils s'agglutinent, comme des papillons, près des lampadaires et, tard dans la nuit, veillent à jouer aux cartes ou aux dominos. D'autres, en revanche, préféreront l'obscurité dans des coins isolés : ils pourront rouler, tranquillement, un joint et s'offrir un trip aux suites funestes. Les parties de jeux de cette jeunesse livrée à elle-même dégénéreront, fréquemment en pleine nuit, en bagarre ou en injures au grand dam du voisinage ou des parents impuissants. Le tableau affiché paraît sombre, voire alarmiste, l'avenir incertain. Il y a dans l'air un bruissement persistant qui rappelle les messages de détresse. Pourtant tout n'a pas été évoqué. Mais pour qui sait regarder, l'espoir demeure. Il n'y a qu'à voir cette lueur qui brille au fond des yeux, ces sourires fatigués, mais gonflés de promesses, ces potentialités qui piaffent d'impatience. La jeunesse médéenne, comme celle d'autres régions du pays, n'est ni flemmarde ni extravagante : elle n'a pas aussi le profil d'un violent casseur ou celui du cheval de retour. Ses conditions de vie sont difficiles, très difficiles, la jeunesse a surtout besoin d'écoute et de confiance, de respect et de main tendue pour qu'elle se résigne de son entêtement et se met gentiment en rang. Est-ce trop demander ?