Le 7 novembre prochain, l'Administration Bush jouera gros. Les électeurs américains pourraient lui enlever la majorité législative qui couvre sa politique. A cause de la catastrophe irakienne ? Plus probablement par la faute d'une conjoncture économique qui tourne moins bien… et bientôt mal en 2007. Il y a deux ans, tout le monde s'accordait à le dire, c'est une conjoncture économique requinquée qui a permis la confortable réélection de George Bush pour un second mandat présidentiel à la tête des Etats-Unis. C'est le même thème qui risque de faire la décision, mais en sens inverse, le 7 novembre, lors des élections de mi-mandat qui renouvellent la totalité de la chambre des représentants (435 sièges), un tiers de la chambre des sénateurs (33 sièges) et 36 des 50 gouverneurs. Le rebond de l'activité américaine après l'éclatement de la bulle « technologique » en 2000-2001 tire à sa fin, la croissance soutenue principalement par la consommation boulimique des ménages s'est ralentie en 2006 et de plus en plus à son troisième trimestre. Plantons le décor : ce n'est pas la crise, beaucoup s'en faut encore, mais le sens du vent a tourné et désormais le doute s'installe aux Etats-Unis dans la capacité à enjamber tous les périls qui guettent le pays : déficits publics abyssaux, surendettement des ménages, crise emblématique de l'industrie automobile avec General Motor au bord de la faillite et Ford au plus mal, déroute militaire en Irak annonçant un scénario vietnamien de guerre de longue durée (1965-1975), d'infinies dépenses budgétaires et une revers moral au bout. La bulle spéculative de l'immobilier en phase d'éclatement Le refroidissement de la conjoncture économique aux Etats-Unis tient son coupable : le marché de l'immobilier et la spéculation qui l'a enfiévré créant un « effet de richesse ». A la manière des valeurs technologiques dans la seconde moitié des années 90, la hausse constante du prix de la pierre a soutenu depuis cinq ans l'emballement de la machine à distribuer des crédits aux promoteurs et aux ménages qui étaient toujours de bons risques puisque leur maison, de plus en plus chère, garantissait les remboursements. Le retournement du marché de l'immobilier, redouté depuis une année, s'est produit subrepticement au premier semestre 2006. Les prix ont connu une première décote de 15% et le mouvement baissier se poursuit. En août 2006, le niveau des défauts de remboursement était deux fois plus élevé qu'en août 2003. C'est tout le cercle « vertueux » de la croissance des années Bush qui est menacé de rupture. Si la consommation des ménages qui a galopé à plus de 4% de progression annuelle moyenne depuis cinq ans se contracte sous le poids d'une insolvabilité soudaine pour cause de dépréciation des actifs immobiliers, alors les experts craignent un atterrissage chaotique de la conjoncture économique en 2007, où le chiffre prévisionnel pâlichon de 2,6% est déjà jugé « optimiste ». Et pour cause, c'est la demande interne qui a porté la croissance américaine bien loin devant les exportations. C'est donc le cœur du réacteur qui est atteint. La détérioration du climat — il est vrai longtemps euphorique en dépit des blessures profondes du 11 septembre 2001 — se lit dans la confiance ébranlée des couches moyennes américaines. En 2004 et en 2005, les salaires n'ont évolué que de 2,4% par an au moment où la consommation augmentait de 3,7%. L'ardoise est à chercher du côté du niveau d'endettement des ménages : il est aujourd'hui de 130% des revenus disponibles. La balance de l'épargne domestique est désormais négative aux Etats-Unis. Dans un tel contexte, Wall Street est toujours prête à prendre le relais. Il s'agit de maintenir coûte que coûte la confiance des entreprises et des ménages dans la vigueur de l'activité. Les banques s'ingénient à reconstituer la solvabilité de leurs clients afin de maintenir le robinet du crédit ouvert. Les montages financiers « exotiques » prolifèrent. Mais c'est bien cette même fuite en avant dans le gonflement des valeurs boursières des « start up » et de tous les actifs du secteur des nouvelles technologies liées à internet qui a conduit à la quasi récession de 2001. L'Amérique est-elle amnésique ou va-t-elle anticiper politiquement la facture de ses errements des années Bush ? La condamnation, la semaine dernière, à 24 ans de prison ferme de Kenneth Ray, le patron d'Enron, ce courtier géant en énergie dont la faillite frauduleuse en 2001 a ruiné des milliers de petits actionnaires, sonne comme un signe avant-coureur : « l'effet de richesse » va s'estomper et ceux qui l'ont fabriqué vont payer. Un consensus sociétal que fissure la dérive inégalitaire Le sort des élections de mi-mandat de la semaine prochaine va donc se jouer essentiellement sur la perception qu'ont aujourd'hui les couches moyennes américaines de leur sécurité… économique. Le retournement du marché immobilier va plomber l'élan américain, c'est sûr, les spécialistes divergent sur l'ampleur du sinistre : 1 point, 2 point ou plus à amputer à la croissance… ce qui correspond à une entrée fracassante en récession en 2007. Face à cette perspective de plus en plus palpable, le sentiment de précarité grandit. 46,6 millions de personnes, 16% de la population, vivent sans couverture médicale. C'est le taux le plus élevé depuis 1998, qui ajoute aux incertitudes. Plus préoccupant pour la majorité républicaine actuelle, c'est le modèle de croissance ultra-libérale de cette dernière décennie qui est, de plus en plus, remis en cause dans l'opinion américaine. L'image des patrons « créateurs de richesses nationales » est écornée. 36% des Américaines ne leur font plus confiance. Les Américains ont été choqués d'apprendre à l'occasion du départ de Lee Raymond, le patron d'Exxon, qu'il aurait gagné 144.573 dollars par jour (calcul effectué par le « New York Times ») durant les douze années passées à la tête de la major pétrolière. Tout aussi difficile à justifier dans un tel climat les bénéfices astronomiques enregistrés par les grandes entreprises : depuis 2003 seulement, les profits de nombreuses d'entre elles s'envolent : Ffitzer (450%), Caterpillar (280%), Microsoft et Intel (54%). Les inégalités de revenus entre capital et travail approchent du seuil de la fêlure du consensus sociétal américain. Une réforme plus libérale du système de retraite introduite par l'Administration Bush a été torpillée cette année par la puissante association des seniors américains. Le président libéralo-guerrier George Bush junior pourrait bien être neutralisé chez lui dès le 7 novembre prochain en devant cohabiter avec une chambre des représentants hostile. Il a laissé semer l'illusion d'une opulence surfaite chez lui et exporté une vraie guerre en Irak. Les retours sur dividendes vont peut-être commencer, dans un ordre inattendu. Pour le reste, l'affaissement annoncé de la croissance américaine n'est pas une bonne nouvelle pour le monde. Elle aspirait excédents financiers et exportations de marchandises. Il faut lui souhaiter un prompt rétablissement après les ajustements électoraux qui arrivent.