Un an après les émeutes dans les banlieues françaises, de nombreuses entreprises se disent favorables pour effectuer des relevés sur les origines de leurs salariés et de leurs futurs collaborateurs. Objectif : prévenir toute discrimination dans le travail et favoriser la diversité des origines de leurs employés. Mais ce discours a du mal à passer chez les associations de défense des droits de l'homme qui voient, en cette méthode, une nouvelle atteinte à la dignité humaine. Selon une enquête réalisée en novembre 2005 et mars 2006 par l'Institut français d'études démographiques (INED) auprès de 1327 salariés, 96% d'entre eux ont déclaré n'avoir aucune réticence à répondre aux questions concernant leur ascendance et leur origine géographique. 12% se disent plutôt mal ou très mal à l'aise à l'idée de se classer dans une catégorie « ethno-raciale ». Pratique courante aux Etats-Unis, en France, l'idée a du mal à passer, notamment chez les Maghrébins. Ainsi 37% des « Arabes » et des « Berbères » se disent opposés à la nomenclature ethno-raciale contre 21% pour les « Noirs » et 25% pour les « Blancs ». Sur le plan politique, les « statistiques ethniques » ne font pas l'unanimité. A droite, on estime que ces statistiques sont nécessaires pour connaître la réalité de la société française et l'ampleur des discriminations. « Si nous constatons par exemple une surreprésentation des enfants de l'immigration dans la délinquance, nous saurons qu'il faut changer notre politique d'intégration », explique un conseiller de Nicolas Sarkozy. A gauche, on préfère plutôt mettre en avant la volonté politique pour établir une égalité réelle que de parler de « statistiques ethniques ». « L'assemblée nationale elle-même n'est pas à l'image de la France. On ne va pas créer un quota pour les ouvriers, les Français de toutes les couleurs, les employés… Il faut une vraie mobilisation politique, pas une imposture », juge Sophie Bouchet Petersen, conseillère de Ségolène Royal. Il est plus facile d'embaucher Frédéric que Mohamed Dans le monde des entreprises, les « statistiques ethniques » suscitent une réelle curiosité. Organisés récemment par le Centre français d'analyses stratégiques (ex-commissariat au plan), les débats sur cette question ont montré que les entreprises, pour qui les pouvoirs publics interdisent toute vérification des origines de leurs employés, sont elles-mêmes les premières coupables de la discrimination et de la mise à l'écart des minorités visibles. Ce qui a amené les organisations patronales à trouver un accord avec les syndicats pour instaurer dans chaque entreprise un comité chargé de suivre la diversité. Elles ont aussi créé un poste dénommé « correspondant égalité des chances ». Celui-ci est rattaché à la direction. Les grands groupes comme Peugeot (automobile), Auchan (alimentation et distribution) ou Danone ont déjà commencé à prendre en compte les « statistiques ethniques » pour ne pas écorcher leur image chez un certain type de population. Chez Peugeot, un service comptabilise chaque année le nombre de personnes embauchées appartenant aux minorités visibles. En 2005, cette entreprise d'automobile a compté 63 cadres « ethniques » sur les 932 engagés. Chez Auchan, on juge « indispensable que les collaborateurs soient à l'image des clients », tandis que Danone estime que « les entreprises ont besoin de la diversité humaine et culturelle pour que les affaires continuent de marcher ». En effet, à prendre juste l'exemple du marché de la viande dite « halal », celui-ci a représenté en 2005 plus de 7 milliards d'euros (environ 700 milliards de dinars). Ce qui a poussé d'ailleurs Carrefour et d'autres grands groupes de distribution alimentaire à carrément créer des rayons estampillés « halal ». Certes, la réalité a démontré qu'il est plus facile de recruter Frédéric que Mohamed, il n'en demeure pas moins que les « milieux consanguins sont voués à mourir », croit-on savoir chez le constructeur Bouygues pour qui la question de la légitimité des « statistiques ethniques » est déjà dépassée dans les faits. Place donc à la compétence et à la diversité. L'entreprise, qui irait à l'encontre de ce credo, est simplement vouée à la mort. A vérifier…