Pour cette rentrée scolaire, les critiques se sont concentrées sur la volonté prêtée à la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, d'imposer le français et de supprimer graduellement l'enseignement de l'arabe. Le courant antiréformes qui a sonné le tocsin après la désignation de la ministre, en mai 2014, est composé d'islamistes B.C.B.G, de députés de la même tendance, de syndicalistes auxquels s'est vite joint l'ancien collègue de la ministre, l'inénarrable Amar Ghoul, et même Tahar Hadjar. Pour la nouvelle rentrée scolaire, les critiques se sont concentrées sur la volonté prêtée à la ministre d'imposer le français et de supprimer graduellement l'enseignement de l'arabe. Le courant anti-réformes qui a tôt sonné le tocsin après la désignation de la ministre en mai 2014 est composé d'islamistes BCBG, de députés de la même tendance, de syndicalistes auxquels s'est vite joint l'ancien collègue de la ministre, l'inénarrable Amar Ghoul, et même Tahar Hadjar. Les détracteurs de la ministre ont réussi à avoir le soutien de Abdelfattah Hamadache Zeraoui, le sulfureux prédicateur du quartier du Télémly (Krim Belkacem, Alger). Dans une vidéo postée sur sa page facebook, le président d'un obscur Front de la Sahwa salafiste libre d'Algérie a menacé le gouvernement de «faire sortir les Algériens dans la rue» si le nouveau programme scolaire n'est pas retiré. «Ou vous retirez cette réforme, ou nous allons mobiliser la population et les associations pour le soutien à la langue arabe», a-t-il gueulé, l'index levé. L'agitation, amplifiée par les erreurs constatées dans les manuels de 2e génération, n'a pas cessé malgré les démentis de Mme Benghebrit et de son responsable, Abdelmalek Sellal sur «la langue arabe (qui) reste la première langue d'enseignement adoptée dans l'enseignement des autres matières». Mme Benghebrit a même adressé une lettre aux membres de l'association des Oulémas réunis à Koléa pour rappeler son attachement aux «constantes nationales» dans le cadre tracé par la loi d'orientation de 2008, elle-même inspirée du rapport de la commission Benzaghou installée par le président Abdelaziz Bouteflika. Le débat sur l'utilisation des langues a ressurgi ces dernières années, après le long intermède de l'ancien ministre de l'Education, Aboubakr Benbouzid. Si durant longtemps des voix portées par les défenseurs de la langue arabe, à l'instar de Abdallah Cheraït, Athmane Saâdi et Ahmed Bennamane s'étaient concentrées sur la généralisation de l'arabe et les «dangers» du bilinguisme et de l'enseignement berbère, ces derniers mois une autre question s'est superposée avec insistance à la première : quelles langues étrangères devront apprendre les enfants ? Pour de nombreux promoteurs de l'arabe, l'anglais doit désormais être privilégié dans l'enseignement aux dépens du français. Membre de l'initiative lancée à Kouba (Alger) pour la révision du système éducatif, et porte-parole de l'organisation des parents d'élèves, Samir Lksouri défend sur les réseaux sociaux et sur les plateaux de télévision la «primauté» de l'anglais et la place de l'arabe. «Il n'est pas dans notre projet d'exclure la langue française, mais il s'agit pour nous de procéder par ordre d'intérêt. La langue anglaise est parlée par 1,1 milliard d'humains, contre seulement 220 millions pour le français. Donc, notre choix est vite fait», résume dans une déclaration à El Watan Lksouri qui propose, sans trop de détails, trois étapes pour permettre la généralisation de l'anglais : sonder d'abord les Algériens, «déjà acquis à l'anglais», inverser les tranches horaires au profit de l'anglais, et recruter les gens qualifiés pour son apprentissage. Ces derniers jours, une polémique à fleurets mouchetés a agité les réseaux sociaux après le post d'une enseignante de Barika (Batna) qui a défendu, devant ses élèves, l'usage généralisé de la «langue du Paradis (l'arabe)». Des internautes se sont empressés de saluer les propos «sensés» de la jeune enseignante, alors que d'autres ont réagi en dénonçant un discours raciste et injurieux envers une partie de la population nationale. Genèse d'une aliénation L'agitation sur les langues que doivent apprendre les Algériens à l'école de la République n'est pas nouvelle, mais s'est imposée au lendemain de l'indépendance. Après la phrase malheureuse du président Ben Bella qui a déclaré par trois fois à l'aéroport de Tunis en avril 1962 : «Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes !», l'Etat algérien a décidé d'«algérianiser» l'éducation par la généralisation de l'utilisation de la langue arabe fousha (classique) aux dépens des langues maternelles (l'arabe parlé et le tamazight). Défenseur de cette politique, dont un bilan sérieux n'a pas été fait par ses propres promoteurs, Taleb Ahmed Ibrahim a lancé l'arabisation après sa désignation comme ministre de l'Education sous Boumediène. Excepté le court intermède Mostefa Lacheref, désigné comme successeur du fils du président de l'Association des oulémas, les pouvoirs publics ont craint de remettre en cause la sacro-sainte décision d'arabiser au pas de charge l'école sans tenir compte des spécificités linguistiques des populations amazighophones. Selon Gilbert Gandguillaume, spécialiste de l'arabisation et auteur d'un ouvrage de référence sur cette politique, estime que «la réintégration de la langue arabe écrite dans le cadre de l'arabisation correspondait à une nécessité de rééquilibrer les références culturelles de l'Algérie suite à la longue colonisation.» Dans une déclaration à El Watan, l'auteur de Arabisation et politique linguistique au Maghreb, affirme que la réalisation de cette politique s'est montrée «déficiente» pour plusieurs raisons : les mesures étaient improvisées pour des raisons politiques et idéologiques sans accompagnement pédagogique, il y avait une visée monolingue tendant à éliminer le français alors que celui-ci aurait pu l'appuyer (comme ce fut le cas en Tunisie au début de l'indépendance), mais aussi une hostilité non affichée mais réelle aux langues maternelles parlées tant l'arabe que le berbère. Durant les années 90', les autorités ont fait voter une loi sur la généralisation de la langue arabe (16 janvier 1991) et après une année de boycott des écoles en Kabylie, elles ont été contraintes de reconnaître la composante berbère de la population. La loi sur l'arabisation a été finalement gelée et tamazight n'a été enseigné que dans les régions berbérophones. Après l'arrivée de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999, une décision a été prise pour «réformer l'Education». Installée en mai 2000, la Commission nationale de la réforme du système éducatif (CNRSE), appelée aussi commission Benzaghou du nom de son président, a plaidé à la majorité de ses 159 membres en faveur de l'utilisation du français dans l'enseignement des matières scientifiques. Les quatre commissions qui ont achevé leurs travaux en 2002 ont rencontré des résistances de la part de certains de ses membres qui ont plaidé pour le maintien de l'arabisation avec l'onction des partis du pouvoir, le FLN et le RND. L'universitaire Ali Chibani affirme que l'Etat algérien a fait le choix d'imposer dès le début de l'indépendance une politique d'arabisation massive. «On est passé, comme le dit si bien Foudil Cheriguen, de l'enseignement en français à l'enseignement du français (Politiques linguistiques en Algérie» dans Mots, n°52, septembre 1997). Pour ce faire, l'Etat a reproduit la même politique linguistique que la France coloniale, la même que celle que mène la France contre ses langues dites «régionales» et que Louis-Jean Calvet nomme «le colonialisme intérieur». Cependant, au lieu du français, l'Etat algérien promeut l'arabe littéral qui, comme le rappelle Fouad Laroui dans Le drame linguistique marocain, «n'est la langue maternelle de personne», indique l'auteur qui fait remarquer que l'arabisation ne s'est pas faite uniquement contre la population amazighophone, mais elle s'est aussi construite contre la population arabophone. Abderrezak Dourari, docteur d'Etat en linguistique, parle de la haine de soi des dirigeants algériens qui ont voulu imposer une conception de la société qui exclut des Algériens. «En 1970, on a voulu réaliser un ‘‘rêve fou'', celui de restituer ‘‘la culture nationale''. Les tenants de l'arabisation qui promeuvent l'arabe scolaire avait un complexe à l'égard de soi, une haine de soi et des composantes de l'identité que sont l'arabe algérien et les variétés du berbère. Les pouvoirs publics ont défendu le monolinguisme et ont voulu construire l'identité algérienne par opposition à l'identité française de la colonisation. A cette détestation de soi s'ajoute le rejet de la langue française qui a permis de sacrifier sur l'autel d'une identité authentique surfaite des milliers de cadres formés en français. L'anglais que promeuvent ces gens ne se réalisera pas pour des raisons objectives», signale Dourari, linguiste et auteur de l'ouvrage Les malaises de la société algérienne d'aujourd'hui : crise de langues et crise d'identité (Casbah, éd 2003). Sortir de la «guerre des langues» Si l'idéologie a pris le dessus dans ce débat, des intérêts mercantiles étaient toujours là. Pour M. Chibani, le rapport de l'élite algérienne à la langue n'est pas qu'idéologique, il est aussi et surtout «économique». «Le rapport à la langue est souvent économique. Ils défendent le tamazight, l'arabe ou le français parce que c'est leur gagne-pain. Cela a des répercussions négatives sur non pas la langue, mais la représentation qu'on peut s'en faire», s'étonne l'auteur. Secrétaire général du Satef, M. Amoura abonde dans le même sens en évoquant les «intérêts» plus triviaux que veulent protéger les détracteurs des réformes de l'école lancés par Mme Benghebrit. «Ces gens-là agissent par intérêt. Ils ne peuvent enseigner ni en français ni en anglais comme ils le prétendent. Nous leur disons basta, occupez-vous de vos affaires !» tranche le syndicaliste. Pour le président des parents d'élèves, les «arabophones et les francophones, en conflit depuis 1962, ont un même objectif : prendre les postes-clefs de l'Etat.» «Ces courants ne veulent développer aucune des langues qu'ils prétendent défendre. Leur objectif est seulement de se positionner dans les postes de responsabilité pour préserver leurs acquis», assène Khaled Ahmed. Quelles sont les conséquences de ces politiques à visées idéologiques ou mêmes mercantiles sur les enfants et plus largement sur la société algérienne ? Pour M. Chibani, le succès de l'arabisation comme programme de domination idéologique et de rattachement mythique de l'Algérie à un nouvel espace géographique et historique (l'Egypte, les monarchies du Golfe) se traduit par l'enregistrement par la population algérienne des discours haineux et exclusifs formulés par ses dirigeants. «Une partie de la population considère que la langue arabe est une langue qui forme des terroristes et des ignorants et qu'elle n'est pas en mesure de transmettre les savoirs scientifiques qui font progresser les nations. Une partie juge que tamazight est une langue mineure, démunie du langage technique et de la légitimité historique qui pourraient faire d'elle une langue scientifique. Une dernière considère le français comme la langue des mécréants et des occidentalisés. En d'autres termes, comme l'a fait l'Etat, la société algérienne reprend les clichés racistes coloniaux et les répète», résume le chercheur. Quelle est la solution pour sortir de cette guerre des langues ? «Il faudrait reprendre l'héritage rationnel de la langue arabe scolaire exclu actuellement de nos écoles», suggère M. Dourari, qui défend aussi la promotion des langues maternelles (arabe dialectal et tamazight). «Il faudrait que les dirigeants algériens cessent de monter une partie du peuple contre l'autre partie et mettent un terme aux discours et aux pratiques ségrégationnistes. (…) Il s'agit de choisir entre le rêve de Jean El Mouhoub Amrouche de voir naître une Algérie ouverte à ses différences et le projet d'une Algérie nassériste ségrégationniste», lance M. Chibani. «Dans l'Algérie d'aujourd'hui, l'étudiant a besoin de pouvoir utiliser au moins deux langues écrites : l'arabe moderne et le français, si l'on considère le cursus des études. Il faut y ajouter une troisième : l'anglais dans le contexte de la mondialité», résume M. Grandguillaume, qui défend également la promotion des langues parlées pour «générer l'estime de soi».