- Vous avez soutenu une thèse sur la roqia. Où avez-vous eu l'occasion d'observer le phénomène ? J'ai observé ce phénomène de la roqia en Algérie, en France et en Egypte. J'ai commencé à assister aux rituels en France, c'était en 1996. En 1998, j'ai observé des rituels en Algérie et après cela j'ai conduit mes recherches en Egypte, successivement en 1999 et en 2001. En France, ce sont surtout des familles d'origine algérienne, car il y a une forte communauté. La récitation du Coran s'effectue en arabe, mais la communication s'effectue en français. Les patients ne comprennent pas l'arabe, donc forcément la conversation avec le raqi s'effectue en français. En Algérie, la récitation est en arabe, mais la conversation en dialecte algérien. La même chose en Egypte. Cependant ici le mot roqia n'est pas utilisé, on lui préfère l'expression plus explicite : «guérison par le Coran». C'est la même pratique, mais avec des variantes. - En quoi consiste votre travail ? Mon travail consiste déjà à décrire le rituel, à savoir ce qui se passe-t-il à l'intérieur. J'ai envie de savoir pourquoi les gens croient à cela. Comment ils interprètent leur mal ou leur souffrance. J'essaye aussi de connaître leur itinéraire thérapeutique, c'est-à-dire par quel chemin ils sont passés avant de venir chez le raqi. Ont-ils consulté un médecin ou un taleb, etc. ? Il y en a effectivement qui mélangent tout, mais d'autres font carrément la rupture avec la médecine conventionnelle. Il arrive, par exemple, que le raqi interdise au patient d'aller voir un psychologue ou un psychiatre, etc. en lui disant : «Ce n'est pas la peine d'aller voir un médecin car ton cas est clair : il s'agit d'une possession.» Bref, il y a un peu de tout. - Le phénomène est ancien, mais comment a-t-il évolué ? Le phénomène remonte à plus loin, mais moi je l'ai découvert dans les années 1990, car, au départ, je voulais travailler sur le phénomène des croyances en général. Je l'ai découvert à travers la littérature. Ce sont des livres contemporains en vente libre et qui parlent de djinns, de «roqia», de soins par Le Coran, de «hidjama», etc. Ces livres proviennent du Moyen-Orient, notamment d'Egypte. Il y a toute une panoplie de publications qui font aussi de la publicité pour les «raqi» parce que certains éditeurs ne se gênent pas pour insérer les coordonnées (tel, adresse, etc.). Certains établissent des contacts indirectement, en demandant aux lecteurs de contacter la maison d'édition. C'est un véritable commerce et les gens achètent ce type de publications. Aujourd'hui, le phénomène s'est même mondialisé, car il s'exhibe sur YouTube et les réseaux sociaux. Les «raqis» expliquent sur la Toile comment ils procèdent pour établir le diagnostic et effectuent des démonstrations. C'est hypermédiatisé et certaines chaînes privées de télévision en font la promotion. Dans la presse écrite on communique également les adresses. Ce sont en général des journaux spécialisés dans les annonces matrimoniales, l'astrologie, etc. Cela continue, car les gens y croient. J'ai même rencontré un psychologue et un médecin généraliste qui recourent à cette pratique, car ils y croient tout en continuant à pratiquer dans leurs domaines respectifs. - Quel est votre avis sur ce genre de pratiques non conventionnelles ? En tant que chercheure, je ne me réserve pas le droit de juger pour dire que c'est du charlatanisme, mais j'imagine que parfois au sein de la société il y a des conflits. Par exemple j'ai eu vent d'une plainte, mais pour des considérations hygiéniques, une infection pour non-stérilisation du matériel de la «hidjama». Il y eut un cas où ce sont les voisins qui ont porté plainte, car le raqi installé dans un quartier dérangeait la quiétude des voisins. Mais en général cette pratique prospère.