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Roqia : entre violence, sexe et charlatanisme
Le phénomène prend de l'ampleur en Algérie
Publié dans Liberté le 05 - 04 - 2015

C'est l'expression d'une société qui recule à grande vitesse depuis qu'elle a consommé son divorce avec le travail et le mérite, et où la recherche du gain facile, des thérapies faciles, pour sortir des crises, même celles dites démoniaques, est devenue une vertu !
Le ministère des Affaires religieuses vient d'appeler, en fin de semaine, à soustraire les mosquées aux rituels de la roqia tout en invitant les Algériens à rester vigilants face au charlatanisme auquel s'adonnent des énergumènes, de plus en plus nombreux, qui profitent d'une vieille pratique de médication dont les origines remontent à la période antérieure à l'islam. Ce rappel à l'ordre intervient dans une
période marquée par une série de scandales liés à cette pratique informelle, mais qui s'exerce
en plein jour tout en étant exonérée de tout contrôle.
Ainsi, la semaine passée a été marquée par le décès, à l'ouest du pays, à Relizane précisément, d'une jeune étudiante originaire de Bordj Bou-Arréridj, lors d'une séance de roqia (voir l'article de notre collègue M. Seghier dans notre édition du 1er avril). La semaine d'avant, cette fois-ci à l'est du pays, la justice a condamné un autre charlatan pour avoir violé trois jeunes filles, des sœurs. Les faits ont été commis, eux aussi, lors de pseudo-séances de roqia. Il s'agit, ici, des derniers cas révélés à l'opinion publique dans un monde où ce genre de déballages est une exception de par la nature des faits, jugés tabous, et la forte implication de l'entourage des victimes.
En effet, dans les deux cas, ce sont leurs propres parents qui ont offert les victimes à leurs bourreaux. À Relizane, la jeune étudiante était accompagnée de son père et de sa mère qui cherchaient à apaiser le corps de leur progéniture d'une maladie "occulte", selon leurs aveux. À Skikda, c'est le frère des 3 victimes qui a sollicité les services du violeur en série pour une thérapie à même d'aider ses sœurs à vaincre le signe indien qui les empêche de se marier. Selon des initiés, la roqia dite prophétique ou charâiya par référence à l'islam, car le procédé existe aussi dans les autres religions monothéistes, se limite à la lecture de passages du texte sacré puisés dans les versets glorifiant la puissance de Dieu. Dans le temps, dans une société analphabète où lire et écrire étaient un luxe, le rituel était accompli par le taleb, l'étudiant en sciences islamiques. Ce dernier recevait rarement chez lui, se contentant d'écrire des versets sur des supports papier ou tissu, que les concernés porteront sur eux.
Du taleb au raqi et de l'eau bénite aux perfusions salées
De nos jours, des cliniques sont ouvertes, des spots publicitaires passent sur des chaînes TV et aussi bien le matériel que le jargon médical
sont utilisés.
À l'image du raqi cathodique qui est en train de chasser le taleb du village, les solutions de sérum salé et autres huiles végétales et animales sont, elles aussi, en train de remplacer l'eau du robinet ou encore de Zemzem ramenée de La Mecque et bénite par le truchement du récit de quelques versets coraniques. Statistiquement, ce sont surtout les femmes qui sont victimes de ce dérapage, peut-être parce que notre société n'est pas encore mûre pour admettre qu'elles peuvent, elles aussi, vivre des moments de chagrin, traverser des périodes dépressives...
La thérapie adoptée par les charlatans consiste, soit à faire boire, aux "possédées", de l'eau bénite par le pseudo-cheikh, soit à pousser le djinn à quitter son refuge en frappant le corps-refuge, soit en associant les deux méthodes. À titre d'exemple, à propos des sévices, on peut citer le cas d'une jeune fille qui a rendu l'âme, dans l'Algérois, après avoir été forcée de boire un mélange d'eau et d'huile d'olive. Le même sort a été réservé à un jeune collégien de la région de Batna à qui un charlatan fera boire plus de 5 litres d'eau salée. On a aussi le cas de cette jeune fille battue à mort par son raqi dans la région d'Oum El-Bougahi. Aux châtiments corporels, s'ajoutent les agressions sexuelles, à l'image des actes de pédophilie et de viols commis par les charlatans.
C'est le cas avec l'adolescent violé par son gourou dans la banlieue algéroise et celui des trois sœurs de Skikda, victimes d'un viol en série que nous avons cité plus haut. À ce propos, les services de la Gendarmerie nationale ont dénombré, rien que durant l'année passée, 29 viols sur des femmes commis par des charlatans lors de pseudo-séances de roqia.
Roqia-business et des gourous de plus en plus puissants
Le phénomène de la roqia-business ne cesse de prendre de l'essor année après année et décennie après décennie. Selon des sociologues, aussi bien le développement du phénomène que le silence des autorités s'expliquent, entre autres, par les dégâts occasionnés par notre école sur le tissu social. Plusieurs de nos dirigeants des années post-1990 croient en Belahmer et autres Belakhdar and Co et y recourent périodiquement. L'appel aux charlatans et la convocation de leurs "magies" se font lors de matches de foot, ces événements à forts relents populistes, la veille de remaniements dans les corps des ministres, walis, magistrats... Un professeur en médecine a même fait appel à un charlatan lors de l'inauguration de son nouveau service. C'est dire, pour reprendre un confrère de l'est du pays, que le charlatanisme invisible, celui qui sommeille en nous, est davantage plus présent et dévastateur que l'autre visible à travers une roqia... pas islamique du tout. C'est l'expression d'une société qui recule à grande vitesse depuis qu'elle a consommé son divorce avec le travail et le mérite et où la recherche du gain facile, des thérapies faciles, pour sortir des crises, même celles dites démoniaques, est devenue une vertu !
La roqia-business est loin d'être une succession de faits divers. C'est une question de sécurité nationale. La puissance du charlatan réside dans la quantité et qualité des secrets qu'il détient sur les autres. Et ces derniers sont la jeune étudiante de Bordj Bou-Arréridj, les trois sœurs de Skikda, le collégien de Batna... mais aussi la femme d'un tel commis de l'Etat, sa fille, si ce n'est lui-même. C'est peut-être pour cela que, dans certains pays arabes, la connexion entre ces charlatans et certaines officines sont un secret de Polichinelle. Faire barrage à ces charlatans, c'est sauver des vies humaines mais aussi faire dans la veille stratégique en matière de sécurité nationale, surtout que certains illuminés financent ouvertement des associations dites caritatives.
La réaction rapide du ministère des Affaires religieuses, cette fois-ci, est à saluer. À l'école, à l'administration et à l'Autorité de régulation de l'audiovisuel de prendre le relai.
M. K.


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