La journée d'études consacrée à l'œuvre romanesque de Rachid Mimouni, à l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, le 20 novembre 1945 à Boudouaou, -et non plus de sa mort, le 12 février 1995 à Paris, comme c'était le cas précédemment- a permis aux chercheurs universitaires qui se sont penchés sur l'homme et son œuvre d'éclairer l'assistance et, au-delà, des lecteurs sur l'osmose entre trois dimensions «l'homme, l'intellectuel, l'écrivain» en un seul être, Rachid Mimouni. Un avant-goût a été offert à l'assistance estudiantine, venue notamment de l'université d'Alger (!?) et quelques personnes de la culture boumerdassie, par la projection d'un extrait de l'émission Postrophes de Bernard Pivot, qui accueillait Rachid Mimouni à l'occasion de la sortie de son roman L'honneur de la tribu. Mimouni, le visionnaire, annonçait déjà par la voix du narrateur, «qui veut sauver la mémoire collective», que «tous les pays du Tiers-monde» allaient subir «la modernité comme une violence incontournable». Nawel Karim, enseignante de français à l'université d'Alger, a tenté dans un passage succinct de l'essentiel de l'œuvre de Mimouni de révéler au public «le parcours d'un homme engagé». Ainsi, Le fleuve détourné apparaît comme «une critique acerbe du système politique autoritaire de l'époque». Alors qu'avec Tombéza, l'auteur «scrute les structures profondes de la société algérienne et exprime le désespoir des jeunes». Le romancier dresse un violent réquisitoire contre l'injustice, qui annoncera d'ailleurs le drame d'octobre 88. Nawel K. poursuit sa recherche et dévoile à des auditeurs attentifs que L'honneur de la tribu est un roman de «remise en cause de la modernité violente» et que La ceinture de l'ogresse bouleverse le lecteur «par un ton incisif, souvent dénonciateur». L'une des dernières œuvres de l'auteur, Une peine à vivre revient, selon l'intervenante, sur «l'autoritarisme du pouvoir» et même si De la barbarie et de l'intégrisme obéit à «la littérature de l'urgence», selon la terminologie des spécialistes, elle n'attire pas moins l'attention sur un danger imminent qui allait frapper l'Algérie plus durement que ce qu'on pouvait croire à l'époque. Hayet Oum Saâd, enseignante d'arabe à l'université d'Alger, aura dès le début de son intervention, cette sentence sans appel : «Mimouni est une personnalité qui n'a pas bénéficié de toute l'attention nécessaire.» Pourtant, rappellera-t-elle, c'est le romancier algérien le plus récompensé par d'illustres prix, comme celui d'Albert Camus. Elle retracera les étapes qui ont toutes étaient révélatrices de l'omniprésence d'une conscience aiguë chez «l'homme, l'écrivain, l'intellectuel», dont les engagements ont plus été humanistes que politiques. Dans La Malédiction, l'œuvre dédiée à son ami Tahar Djaout, lâchement assassiné par des terroristes, Mimouni avertit contre un système qui aura généré des excroissances cancéreuses dans son propre corps. La traduction des œuvres, une nécessité Les éclairages apportées par ces deux enseignantes, l'une francophone et l'autre arabophone, ont suscité un intérêt considérable, en raison de la nouveauté du regard universitaire qui s'est déparé du clivage linguistique réducteur. L'analyse s'est élevée d'ailleurs au cours du débat au niveau du dialogue intellectuel très enrichissant. L'intervention du professeur Bourayou, honoré au cours de cette journée pour sa traduction en arabe et ses travaux sur l'oeuvre mimounienne, soulignera d'ailleurs la nécessité pour les chercheurs algériens de se pencher sur toutes les œuvres romanesques algériennes, et ce, quelle que soit la langue d'écriture, arabe ou amazighe ou français. Pourquoi pas des chercheurs francophones pour étudier l'oeuvre de Wassini Laaredj, etc. En tous cas, «le compartimentage» ou les «huis clos» ne profitent à personne et maintiennent la littérature et la critique dans des carcans défertilisants. Toutefois, les intervenants ont été unanimes à appeler à la traduction des œuvres de Mimouni et, dans la foulée, développer la traduction. Le professeur Bourayou a fait cas des difficultés qui l'ont empêchés de traduire d'autres œuvres pour des considérations juridiques (droits d'auteur) ou bureaucratiques. Mme Nawel Karim a fait part à El Watan d'une enquête qu'elle a menée auprès d'un jeune lectorat en Algérie et en France : il ne connaissait pas Rachid Mimouni, encore moins ses œuvres. Au cours des débats à la Maison de la culture de Boumerdès, un étudiant a pris le micro pour demander la traduction en arabe parce que, dira-t-il, «nous sommes des arabisés par l'école !» Alors verra-t-on des œuvres traduites à la prochaine édition de cette rencontre qui sera internationale en novembre 2017, selon le wali de Boumerdès, qui, après avoir assisté à toute la matinée et participé au débat, a assuré les organisateurs de son soutien. Rendez-vous est pris.