La Fondation de l'islam de France, présidée par Jean-Pierre Chevènement, a été officiellement installée jeudi dernier. D'abord, beaucoup se sont demandé à quoi servirait la Fondation de l'islam de France. Certains ont même pensé que face aux difficultés de sa constitution, elle ne verrait pas le jour. D'autres posaient clairement la question de savoir si enrobé sous un nouvel habillage l'encadrement des musulmans de France permettrait de créer ce dont rêvent les pouvoirs politiques depuis 2002 : un islam de France, notion décriée par beaucoup d'associations musulmanes. Les attentats meurtriers des groupes terroristes, liés à l'organisation criminelle Etat islamique, survenus depuis janvier 2015, ont fait accélérer les choses. Depuis 2005 déjà, à l'initiative du Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin, une fondation des œuvres de l'islam avait été lancée, avec une dotation initiale d'un million d'euros. Vu la rivalité entre les composantes diverses des fédérations d'associations musulmanes, le projet tomba à l'eau. Jusqu'au mois d'août 2016, après les attentats de Nice et de Saint-Etienne de Rouvray. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve (aujourd'hui Premier ministre) actualisait la fondation mort-née en changeant son intitulé. Il présentait la nouvelle structure dotée de deux étages, le premier propulsé en cette mi-décembre : «une Fondation de l'islam de France à vocation culturelle». Le deuxième sera mis sur orbite plus tard : «une association cultuelle confiée aux musulmans eux-mêmes, destinée à financer les mosquées et la formation théologique des imams.» Il n'est pas certain que cela aplanisse les rivalités des fédérations musulmanes pour savoir où iront les fonds accessibles, chacun en voulant légitimement une part. En attendant, la fondation a donc été officiellement lancée jeudi, sous la présidence de l'ancien ministre Jean-Pierre Chévènement, alors que le décret portant création de la fondation n'a été publié au Journal officiel que mardi dernier, après que le Conseil d'Etat, laïcité oblige, a donné son aval. En fait, on ne fait donc que répéter les choses avec un habillage nouveau, pour aider la religion musulmane à asseoir sa place, tout en tenant compte de la loi de 1905 qui interdit aux pouvoirs publics de financer les religions. L'article du Journal officiel précise seulement qu'«est reconnue comme établissement d'utilité publique la fondation dite “Fondation de l'islam de France”, dont le siège est à Paris». L'ancienne fondation des œuvres de l'islam de France a été officiellement dissoute dans le même paraphe, mardi également, par un autre décret du ministre de l'Intérieur. Un subtil équilibre entre Algériens et Marocains La fondation se présente comme une nouvelle couche d'un millefeuille administratif, dont beaucoup se sont inquiétés de l'intérêt réel quant à la mission première d'instiller les conditions d'un islam apaisé. Contrairement au Conseil français du culte musulman, initié dès 2002, la fondation sera ouverte à des personnalités civiles, en dehors du monde du culte proprement dit. Au conseil d'administration de cette structure figurent, au titre des «personnalités qualifiées», en un subtil équilibre entre Algériens et Marocains, le théologien Ghaleb Bencheikh et le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, pour l'Algérie. Pour le Maroc : la cadre supérieure d'entreprise, Najoua Arduini-Elatfani, et l'écrivain, Tahar Ben Jelloun. Le président du Conseil français du culte musulman, actuellement le Marocain Anouar Kbibech, en est membre de droit. A ceux-ci s'ajouteront un représentant de chaque ministère associé : Culture, Education nationale et Intérieur. Quand au financement, il va se mettre en place lentement au fil des dons individuels surtout. Déjà la SNCF, le Groupe Aéroports de Paris et le bailleur social SNI comptent parmi les fondateurs. Ils entendent mettre dans cette nouvelle instance «leur expérience de grandes entreprises fortement impliquées dans la vie économique et sociale» et attentifs au «dialogue des cultures», selon le ministère. D'autre part, le capital de la Fondation des œuvres de l'islam - près d'un million d'euros (il en reste un peu moins…) qui avait été doté il y a dix ans par l'industriel Serge Dassault, sera transféré à la nouvelle structure. A terme, selon certaines indiscrétions, la fondation pourrait disposer de 4 à 5 millions d'euros pour financer ses projets. Du côté des grandes institutions cultuelles musulmanes, on lorgne déjà avec intérêt cette manne, qui permettrait de dégripper certains rouages.