Médecine alternative ou charlatanisme ? La limite devient de plus en plus restreinte. Retour aujourd'hui au débat sur la roqia et la hijama. «Prenez un rendez-vous, madame. La hidjama est pratiquée à 1000 DA, sinon pour la roqia vous payez à votre guise.» Nous sommes à Draria, dans le local d'un raqi et de sa sœur. Lui est plutôt «spécialiste» de la roqia alors que la dame est «chargée» de la hijama. La salle d'attente n'est pas comble, mais l'attente est longue. Petite discussion avec les «patientes». «Je suis désespérée. C'est mon ultime recours. Ma fracture ne guérit pas, je suis donc venue ici. Il m'a fractionné le traitement sur plusieurs séances.» Début de semaine à Relizane, l'événement. Le raqi cheikh Belahmar inaugure sa «clinique» baptisée Bachair El Chifaa. Des comédiens, quelques artistes et des personnes connues sont présents. C'est d'ailleurs Salah Ougrout qui a coupé le gâteau… Discours et applaudissements. Un événement, avant qu'une décision tombe : fermer la clinique. L'unité de la gendarmerie a en effet exécuté une décision du wali. Ce qui rouvre aujourd'hui le débat sur ce genre de pratique dans notre société. S'agit-il de «faiseurs de miracles» ou de «charlatans» qui profiteraient de la crédulité de certains clients désespérés ? «Il n'y a pas de médicament miracle, c'est un fait. Mais il y a des traditions qui perdurent dans notre pays, elles sont soit bénéfiques, soit nocives. Dans chaque région de notre pays, nous trouvons une pharmacopée héritée et souvent mal exploitée», explique l'anthropologue et chercheur Dahmane Kadri. «Par exemple, en explorant la médecine traditionnelle qui se pratique dans le sud de notre pays, nous trouvons toutes sortes de mélanges pour soulager différentes maladies et pour accompagner le rituel pour se défaire d'une possession, d'un ‘toucher' de djinn ou du mauvais œil. Le rituel est essentiellement pratiqué par un cheikh ou un raqi. Dans certains cas précis, ce sont les femmes qui transmettent ce ‘savoir', mais elle ne peuvent aller au-delà des règles divines. De ce fait, certains ont exploré d'autres domaines, certains plus obscurs et anciens, comme la sorcellerie, la magie noire ou blanche. Cependant, la sorcellerie n'est pas bonne ou mauvaise, elle ne peut exister dans un équilibre, elle est donc illicite», affirme-t-il. Raspoutine D'ailleurs Adda Fellahi, islamologue, défend la roqia mais pas les raqi. Car, dit-il, «le problème n'est pas dans l'acte lui-même, toléré et conseillé par la religion, mais de ceux qui le pratiquent». Il compare d'ailleurs Belahmar à Raspoutine. Autrement dit, la roqia n'est pas haram, mais doit être soumise à de sévères conditions pour qu'un individu prétende la pratiquer. Mais au-delà d'un avis religieux, la société y croit et particulièrement dans les années 1990. «En Algérie, la roqia a pris des proportions importantes dans les années 1990. C'était le boom, on trouvait partout des raqi, parfois des usurpateurs», affirme le sociologue Mohamed Abderezzak. Les Algériens sont passés par plusieurs phases de doute, la crise socioéconomique et la période du terrorisme. La société s'est retrouvée face à une agitation interne qui a induit le développement de maladies. Le fait que la société algérienne se partage en deux couches sociales, les riches et les pauvres, a plongé les gens dans une profonde frustration. Le recours au raqi est devenu normal, parfois essentiel. Le raqi n'est pas simplement celui qui chasse les démons et délivre de la sorcellerie, il est aussi celui qui écoute et conseille, dans la majorité des cas c'est l'imam de la commune ou du village. «Depuis des années des ‘cabinets' de roqia s'ouvrent un peu partout, généralement à côté de centres médicaux, mosquées ou centres commerciaux, en tout cas là où il y a une forte concentration et circulation. Alors qu'avant, ils étaient dans des villages éloignés ou dans des montagnes.» Salim. M., rhumatologue, ne contredit surtout pas cette pratique, mais, même s'il affirme que certaines maladies liées aux rhumatismes peuvent être ainsi soulagées, il recommande que «cette pratique doit être réglementée et pratiquée dans des centres où les autorités ont un droit de regard. Beaucoup de mes patients me posent la question sur la hijama, je ne suis pas contre, j'ai lu de nombreuses publications. Toutefois, il est regrettable de constater que des charlatans profitent de l'incrédulité, souvent du désespoir des malades pour gagner de l'argent. Les praticiens de la hijama devraient s'organiser en fédération ou association pour protéger ce savoir, en toute transparence, afin de réglementer ce qui échappe aux autorités».