Je m'étais pourtant juré de ne plus contribuer au débat économique national actuel, tant je considérais qu'il était inutile de tenter d'éclairer un pouvoir autiste et inculte, au point de ne pas voir qu'il fonce directement dans une impasse, en ayant l'incompétente conviction qu'il ramait dans le bon sens, entraînant avec lui tout un pays et son peuple ! Mais ce qui m'a fait sortir de ma retraite, c'est les discours du Premier ministre lors de la rituelle réunion walis – gouvernement, puis celui d'après signature de la loi de finances 2017, sur sa chaîne de télévision publique. Durant ces deux interventions, il va s'évertuer à nier, une nouvelle fois, la crise économique qui nous étrangle (et qui ne cessera pas de le faire en 2017), du fait des mesures dérisoires retenues pour lui faire face. A la première, il a eu cette phrase incroyable : «Plus que jamais, les walis doivent investir» ! Pour un homme qui a fait toute sa carrière dans la territoriale (avec comme point de décollage la daïra de Tamanrasset !), c'est le comble de l'anti-culture économique… et c'est à se demander ce qu'il a appris à l'ENA… En effet, depuis quand les responsables l'administration centrale (ministres) et locale (walis), ont-ils pour mission d'investir ? J'ai toujours appris et enseigné que l'acte d'investissement, si possible productif, relevait des entreprises publiques et privées, en symbiose avec un système bancaire efficace et que l'Etat et ses démembrements se devaient d'assurer toutes les facilitations nécessaires pour encourager voire booster l'investissement productif des entreprises, jusque et y compris par la suggestion publique (en concours temporaires ou définitifs). Ne voilà-t-il pas qu'une phrase du Premier ministre vient anéantir des années d'études et d'analyses de tous mes pairs, éminents économistes et autres prix Nobel, dans cette matière ! S'agit-il d'une découverte majeure en sciences économiques ou l'une de ses nouvelles blagues ? «Il n'y a pas de crise économique et il n'y aura pas d'austérité», continue-t-il de marteler et «tous les voyants économiques sont au beau fixe… l'inflation (évaluée à 4%), la dette intérieure et extérieure, l'emploi, les investissements, les transferts sociaux et les subventions (10,8% du PIB), la création d'entreprises (+16% ), la croissance (de 3,9%), l'endettement extérieur privé (de 3 milliards de dollars, soit 1,8% du PIB) !» En d'autres termes, le message du pouvoir lu par le Premier ministre est clair : ne sortez pas dans la rue, tout va bien et on s'occupe de vous ! C'est le même discours servi à toutes les époques de «vaches maigres», mais contrairement à ce que pense et espère le pouvoir, il va avoir l'effet inverse et ne fera que montrer et démontrer l'angoisse du pouvoir face à son incapacité à proposer à notre société des solutions crédibles de sortie de crise, en dehors de la seule variable à laquelle il a toujours eu recours : la rente pétrolière. En fait et après mûres réflexions, on s'aperçoit que la confusion règne en maître dans la tête du Premier ministre et de la plupart des membres de son agrégat ministériel, car ils n'arrivent pas à faire le distinguo entre les finances publiques et le reste des ressources financières rares qui existent (ou pas) sur le marché (national et étranger). Ils n'arrivent également pas à faire la différence entre la gestion de l'administration centrale et locale et la gestion de l'économie nationale, se croyant, sans doute, investis de pouvoirs beylicaux exorbitants et discrétionnaires (système importé du makhzen marocain), pour s'immiscer intempestivement dans tous les secteurs économiques publics et privés, afin d'imposer leurs desiderata. Dès lors, les fonctionnaires (Président, Premier ministre, ministres, walis, chefs de daïra, P/APC et autres administrateurs…) vont se considérer comme fondés à distribuer les ressources rares, lorsqu'elles existent et maintenant qu'elles se raréfient, ils se retrouvent désemparés et tentent vainement de répartir la pénurie en faisant supporter l'effort sur les plus démunis. Faut-il rappeler, que c'est ce même Premier ministre qui déclarait, il y a moins de quatre ans, que notre pays avait été épargné par la crise économique mondiale et que même si elle venait nous impacter, nous disposions d'un matelas (suffisant «pour tenir au moins jusqu'en 2020». Tous les économistes honnêtes (12), qui tenaient un discours de vérité, construit sur des données objectives, contraire au sien, étaient traités de «harkis», d'agents à la solde de l'étranger, voire de subversifs ! Force est de constater que ce discours est plus que jamais de rigueur, alors que la réalité de la crise s'est plus que jamais installée durablement dans notre pays. Cette situation va contraindre le pouvoir à envisager l'endettement extérieur, comme solution de faciliter (14), après avoir pourtant déclaré que les réserves de change étaient suffisantes ! En attendant donc que les prix du pétrole remontent, «grâce au colloque sur l'énergie organisé en Algérie», il s'agit pour le pouvoir de survivre en maîtrisant la contestation sociale, tout en tentant de mutualiser les déficits sur l'ensemble de la population, après avoir permis une concentration, inégalée historiquement, des richesses entre un nombre très restreint de membres des différents clans qui le composent. Les politiques d'ajustement prévues, dont la loi de finances pour 2017, calculée sur la base d'un baril à 50 dollars, prévoit un déficit de près de 12 milliards de dollars l'année prochaine (et dans celle complémentaire à venir), vont donc restreindre les transferts sociaux et geler les salaires et les pensions de retraite. Les tensions inflationnistes (l'impôt du pauvre !) vont éroder le pouvoir d'achat des salariés et des retraités, avec un impact possible sur la paix sociale. En effet, ce leitmotiv du pouvoir va placer les pouvoirs publics dans la quadrature du cercle, puisqu'il va devoir, sans changements systémiques, préserver les grands équilibres macro-inanciers, sans toucher aux «acquis sociaux», garant de cette même paix sociale ! En laissant le gouvernement aller chercher l'argent dans la poche des catégories les plus fragiles et non pas là où il se trouve réellement, le pouvoir est en train de scier, lui-même, la branche sur laquelle il est assis, par les augmentations directes et indirectes, d'un certain nombre d'impôts et taxes, la diminution, voire l'abandon de certains transferts sociaux et le gel des salaires et des pensions. Les classes moyennes, en se reconstituant, depuis le début les années 2000, ont assuré la stabilité du processus de sédimentation sociologique de notre pays, fondamental pour l'unité et la stabilité de notre pays. N'oublions pas que leur destruction, par leur paupérisation durant les années 80, a catalysé un processus de rejet du système et entraîné la tragédie de la «décennie noire» avec toutes ses conséquences, en termes de vies humaines et de destructions matérielles. Cette situation a nécessité l'engagement de l'institution militaire, durant cette période, avec une large adhésion de la population, perceptible lors de l'élection du président L. Zeroual. Afin que notre pays ne disparaisse ou n'implose pas, comme certains pays méditerranéens l'avaient programmé, il était vital de reconstituer ces classes moyennes, garantes de stabilité politique. En les ciblant par les mesures inscrites dans la loi de finances 2017 et les autres implicites, le pouvoir engage notre pays dans le même engrenage que celui des années 1980. Dès que la masse critique de mécontentement sera atteinte, n'importe quel incident mineur provoquera une explosion sociale plus intense que celle que nous avons déjà subie durant les années 180-90, et l'institution militaire devra donc intervenir une seconde fois ! Nous revoilà à la case départ. Puisqu'il faut proposer des solutions et non pas seulement critiquer ou pleurnicher, pour reprendre les propos du SG patenté de l'UGTA, chargé de défendre le pouvoir, dans son dernier discours, il faut aller chercher l'argent là où il s'est logé, c'est-à-dire dans l'informel, dans la corruption, dans la spéculation, par le recouvrement de l'impôt, dans les rentes de situation… Ce sont des milliards de US$ et de dinars qui devront retourner dans les caisses du Trésor public et servir à couvrir les besoins sociaux d'aujourd'hui et de demain. Les dispositifs légaux et judiciaires existent, il suffit de les mettre en œuvre. Les institutions publiques sont opérationnelles, elles n'attendent que les instructions pour agir. S'il faut renforcer juridiquement nos textes, les deux chambres législatives seront instruites pour les voter contre une augmentation de leurs «primes et indemnités» comme de coutume. En outre, il importe de donner un sérieux coup de tournevis au train de vie de l'Etat, toutes institutions confondues (présidence de la République, Assemblée populaire, Conseil de la nation, Premier ministère, ministères, wilayas)… en particulier dans leurs dépenses de fonctionnement et celles somptuaires. Un programme chiffré et daté devra être adopté par les pouvoirs exécutif et législatif, avec une équipe cohérente et soudée autour de ces objectifs et qui devra jouir des pleins pouvoirs pour les réaliser. La volonté politique, que reste-t-il à ce concept souvent galvaudé, sinon une vision stratégique, à moyen et long termes, qui engagerait notre pays sur le chemin vertueux du développement. Gageons que le Premier ministre ne manquera pas de volonté politique, avant sa mise fin de fonction peu glorieuse, sinon nous ne retiendrons de son passage que ses blagues !