Le professeur Mohamed-Cherif Belmihoub explique, dans l'entretien qui suit, que la dépense publique a été depuis 2000 le facteur déterminant de la croissance dans le pays. Sa réduction, ajoute-t-il, peut entraîner tout un pan de l'économie dans la crise. Liberté : Bon nombre d'entreprises, notamment du BTPH qui dépendent de la dépense publique, rencontre d'énormes difficultés à recouvrir leurs créances auprès de l'Etat, quels sont les effets de cette situation sur ces entreprises et sur l'économie nationale? Mohamed-Cherif Belmihoub : La dépense publique a été depuis 2000 le facteur déterminant de la croissance dans le pays; celle destinée aux équipements et aux infrastructures a permis de créer et de développer de nombreuses PME dans le secteur du BTPH, grand bénéficiaire des crédits d'équipement (logement, infrastructure, hydraulique, rail...). Toute perturbation dans la dépense publique, par sa réduction ou par le rationnement dans le paiement des situations de travaux créera sans doute des difficultés pour les entreprises, particulièrement les plus petites, qui sont plus vulnérables en raison de la faiblesse de leur capacité de financer le fonds de roulement (cycle d'exploitation). Les effets immédiats pourraient être un ralentissement de l'activité ou carrément l'arrêt en raison des difficultés d'obtenir des crédits bancaires ou des crédits fournisseurs; ce qui conduit à des chômages techniques, ou des licenciements de personnel. La dépense publique d'équipement est celle qui irrigue le mieux le circuit économique du pays et donc son fléchissement aura des effets directs (réduction de l'emploi, baisse de revenus des entrepreneurs et des salariés....) et des impacts indirects (sur l'activité des fournisseurs d'inputs). Déjà que la dépense publique n'est pas très efficace, alors sa réduction peut entraîner tout un pan de l'économie dans la crise. Nous savons que le BTPH est un grand employeur et son recul peut entraîner un chômage de masse. Pensez-vous que cette crise financière va s'aggraver au second semestre 2016 et en 2017 ? Pour le moment, il peut s'agir d'une crise de trésorerie liée peut-être aux recouvrements des impôts. Si ce phénomène persiste et certains observateurs ont noté que le taux de recouvrement a été relativement faible au cours du premier semestre, alors que le gouvernement a misé sur une amélioration par rapport à l'année précédente, si l'assiette de l'impôt ne s'élargit pas (faible croissance) et si le taux de recouvrement ne s'améliore pas, alors le problème de trésorerie deviendrait un problème financier structurel avec tous ses effets sur l'économie. Que préconisez-vous pour surmonter les difficultés budgétaires actuelles de l'Etat ? Il faut distinguer les difficultés budgétaires des difficultés financières ou de trésorerie. À une difficulté de trésorerie peut lui être trouvée une solution conjoncturelle alors que les difficultés budgétaires peuvent être structurelles. Le système fiscal est au cœur de cette problématique, il couvre un budget (besoins prévisionnels) par l'impôt potentiel et finance une dépense (flux de trésorerie) par le recouvrement de cet impôt. C'est donc au plan des finances publiques que les réformes du système fiscal et par conséquent celui budgétaire sont des réformes indispensables et même urgentes si on veut garantir encore une stabilité institutionnelle et une stabilité et une cohésion sociales. Une perturbation dans le financement du service public est un risque majeur qu'il faut éviter. Sauvegarder le service public (santé, protection sociale, éducation, conditions de vie de base....) doit être une préoccupation majeure des pouvoirs publics.