Le Liban renoue avec l'instabilité politique. D'ailleurs, la nouvelle crise était inévitable depuis le printemps dernier quand le dialogue national traînait en longueur, et que des questions majeures apparaissaient comme celles qui divisent. Rien n'indiquait samedi dernier que l'abcès allait être crevé, tant la fin en queue de poisson d'une nouvelle réunion des différents acteurs politiques libanais semblait normale dans le contexte libanais, et que le repos qui allait être observé durant cinq jours, était dû tout simplement au déplacement à l'étranger du président du Parlement, Nabih Berri, initiateur du dialogue. Mais en fin de soirée, c'était le coup de théâtre. Les cinq ministres chiites du gouvernement libanais avaient annoncé leur démission, rejetée par le Premier ministre, nouveau coup de théâtre dans la crise entre la majorité et l'opposition qui réclame une participation accrue dans la coalition. « Nous avons démissionné parce que la majorité insiste pour exercer le pouvoir toute seule », a déclaré le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raâd. « Nous ne voulons pas de ministres qui suivent aveuglément la majorité. » « Il s'agit d'un avertissement à la majorité » parlementaire qui se qualifie elle-même de souverainiste et d'anti-syrienne, a-t-il ajouté après l'échec des consultations, entamées le 6 novembre entre les dirigeants politiques libanais sur un cabinet d'union nationale. Les mouvements Amal et Hezbollah ont annoncé, dans un communiqué commun, la démission de leurs ministres. « Devant l'insistance de certaines forces de la majorité à poser des conditions au dialogue et le refus d'une participation efficace dans un gouvernement d'union (...) et pour permettre à la majorité d'exercer le pouvoir, nous annonçons la démission de nos représentants », affirment les deux partis. Fin du premier acte. Dans le suivant, le Premier ministre Fouad Siniora a immédiatement rejeté ces démissions et assuré vouloir « coopérer avec toutes les parties » pour sortir de la crise. M. Siniora n'a pas été officiellement informé de cette décision et a indiqué en avoir eu connaissance « par les médias ». Ces démissions, qui n'entraînent pas la chute du gouvernement, exacerbent la grave crise politique dans laquelle est plongé le pays. Le puissant Hezbollah, représenté par deux ministres sur 24 au cabinet, réclame, avec ses alliés chrétiens notamment, la formation d'un gouvernement d'union nationale dans lequel l'opposition aurait une minorité de blocage. Le mouvement Amal du président du Parlement Nabih Berri compte également deux ministres. Un 5e ministre chiite, celui des Affaires étrangères Faouzi Salloukh, absent hier à la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, est proche des partis chiites. Quant à la majorité parlementaire dirigée par Saâd Hariri, fils de l'ex-Premier ministre assassiné Rafic Hariri, elle refuse d'accorder à l'opposition cette minorité de blocage, et voit derrière cette opération une tentative de la Syrie de revenir en force sur la scène politique libanaise. Le Hezbollah et ses alliés entendent ainsi renforcer leur influence au sein du gouvernement, issu des législatives de mai-juin 2005 qui avaient suivi le départ des troupes syriennes du Liban. Mais samedi, une nouvelle séance de discussions entre les chefs des partis politiques a échoué, en particulier en raison de divisions sur la création d'un tribunal international chargé de juger les suspects dans l'assassinat de Rafic Hariri, tué dans un attentat à Beyrouth le 14 février 2005. Des responsables syriens et leurs alliés libanais ont été mis en cause dans cet assassinat par une commission de l'ONU. L'opposition, en disposant d'une minorité de blocage, serait en position d'empêcher la création de ce tribunal, qui doit être approuvée par le gouvernement. Mais est-ce réellement là la question essentielle, tant d'autres considérations apparaissaient, sinon se profilaient depuis l'invasion israélienne de juillet dernier ? L'on disait déjà à cette époque que plus rien ne serait comme avant, d'autant plus que les partis des ministres démissionnaires sont alliés au puissant général Aoun qui ne saurait être qualifié de pro-syrien, lui qui a voulu s'en prendre à la présence syrienne, avant d'être défait militairement, et contraint à l'exil. Aujourd'hui Michel Aoun apparaît comme le successeur potentiel du président Emile Lahoud. Il cherche visiblement à le faire savoir, après avoir investi la scène politique de son pays, noué des alliances, et dit publiquement ce qu'il pense des uns et des autres. Des traîtres dans un cas, des nationalistes de l'autre. La partie, au demeurant prévisible, s'annonce difficile pour le Premier ministre Siniora et les autres leaders politiques. L'on craint en effet, et certains ne se sont pas privés de brandir la menace, d'un recours à la rue. Un bien mauvais scénario.