Le Liban, habitué aux crises politiques, ne trouve pas encore les moyens de sortir de celle qu'il vit depuis deux semaines après la démission de six ministres rendant illégitime son gouvernement, selon les propos du chef de l'Etat Emile Lahoud, lui-même au centre d'une forte controverse depuis son coup de force qui lui a permis de demeurer au poste de président de la République pour deux années supplémentaires. La crise semblait inévitable comme le prouve le dialogue sans fin ouvert au printemps dernier et qui devait s'achever au bout de quelques semaines. En juin tout au plus. L'agression israélienne de juillet-août derniers n'a fait que différer l'échéance et masquer les fortes divergences, voire les fortes oppositions au sein du sérail politique. Mais il y a comme un manichéisme ou un bien terrible raccourci, mais en fait une insulte à la classe politique libanaise présentée en pro-et anti-syrien. Ce que récusent certains leaders ou analystes, le premier d'entre eux, le général Michel Aoun, qui était un farouche opposant à la présence syrienne dans son pays et qui considère autrement le problème. En tout cas sans rapport avec le voisin syrien. Ce qui explique son alliance avec le Hezbollah qui apparaît comme le maître du jeu fort de sa puissance politique et militaire. D'aucuns lui ajoutent la puissance démographique de la communauté chiite libanaise, un élément fondamental aussi longtemps que le système libanais demeurera régi par ce fameux pacte national, un accord non écrit conclu en 1943 et qui répartissait le pouvoir sur des bases confessionnelles. Le chef de ce parti a haussé le ton et demandé à ses partisans de se « tenir prêts » à manifester pour précipiter la chute du gouvernement de Fouad Siniora, appelant à un cabinet d'union ou des élections anticipées pour sortir le Liban de la crise. « Il y a deux solutions pour sortir de la crise : soit la formation d'un gouvernement d'union auquel participeront toutes les forces politiques, soit des élections législatives anticipées », a déclaré Hassan Nasrallah. « L'option d'un gouvernement d'union nationale est toujours possible », a estimé le chef du Hezbollah. Les mouvements Hezbollah et Amal, qui ont claqué la porte du gouvernement de Fouad Siniora, réclament une plus grande participation au gouvernement de coalition dominé par la majorité parlementaire dite souverainiste, mais accusée de rouler pour les Etats-Unis et la France. « Nous ne pouvons pas faire confiance à ce gouvernement parce qu'il répond aux décisions et aux desiderata de l'administration américaine », a ajouté Nasrallah. « Ces manifestations visent à obtenir par nos moyens la chute du gouvernement illégitime et anticonstitutionnel, ce gouvernement de l'ambassadeur (américain Jeffrey) Feltman », a souligné cheikh Nasrallah. « Nous pouvons appeler à des manifestations quelques jours ou quelques heures avant leur tenue. C'est pour cela que nous vous demandons de vous tenir prêts. » « Nous pouvons investir la rue durant deux jours, une semaine ou deux, et même plus ou moins si cela est nécessaire », a dit le chef de la puissante formation, en appelant ses partisans à ne pas « porter atteinte à la stabilité et à la paix civile, à éviter les confrontations et les dissensions confessionnelles ». Il a assuré que les manifestations seraient « pacifiques et civilisées » et que les étapes suivantes comme « les grèves et la désobéissance civile » seraient décidées avec tous les alliés du Hezbollah, qui forment l'opposition. Après la démission des six ministres, la légitimité du gouvernement est mise en cause par l'opposition chrétienne dirigée par le général Michel Aoun et ses alliés du Hezbollah ainsi que par le président de la République Emile Lahoud. La décision du gouvernement d'adopter, en dépit de ces démissions, le projet onusien du tribunal spécial pour le Liban a encore aggravé la crise. Officiellement, ces démissions ont été provoquées par l'échec des consultations sur la formation d'un gouvernement d'union nationale au sein duquel l'opposition exigeait une minorité de blocage. Mais la majorité anti-syrienne considère qu'elle a été suscitée par l'approche de la date de la mise sur pied du tribunal international pour le Liban. Ce tribunal devra juger des auteurs présumés de l'assassinat de l'ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, tué le 14 février 2005 dans un attentat spectaculaire à Beyrouth avec 22 autres personnes, au moment où la Syrie exerçait une tutelle sur le Liban. Damas a été contrainte de retirer ses troupes du Liban deux mois plus tard. Une commission d'enquête de l'ONU avait mis en cause, dans des rapports d'étape, des responsables syriens et libanais dans l'assassinat de Hariri. La Syrie a nié toute implication. S'agit-il là de la cause essentielle ou est-elle du genre à masquer d'autres bien plus importantes ? La question reste posée tant que les accusations ou les simples insinuations à l'endroit de la Syrie se poursuivront et d'ailleurs tout laisse croire que ce sera encore le cas, même si la Syrie redevient l'acteur important avec cette offre de dialogue avec au moins le Premier ministre britannique Tony Blair pour aider au règlement du conflit irakien. Quant aux Libanais, ils n'y voient que de la simple politique, mais craignent dans le même temps que ces coups de gueule dégénèrent.