Je ne peux pas demander à mes élèves d'enlever leur veste et leur bonnet. L'hiver est tellement rude dans cette plaine de la Soummam que nous passons la première partie de la journée à lutter contre le froid», nous dit un enseignant de l'école primaire Abdelmadjid Benkhellat, du village Azaghar, dans la commune d'Akbou, sis à 60 km au sud de Béjaïa, où nous nous sommes rendus. Comme son nom l'indique en tamazigh, Azaghar veut dire simplement la plaine, un milieu rural au climat humide et glacial en hiver. Loin des responsables de l'académie et de ceux des services communaux d'Akbou, élèves et enseignants attendent impatiemment l'arrivée du gaz naturel dans leur établissement. A les observer dans leur classe, les élèves ressemblent plus à des patients attendant leur tour dans une salle de soins qu'à des apprenants. Ecoulement nasal, toux, grelottement, les chérubins résistent tant bien que mal, alors que certains, témoigne une enseignante, cèdent au froid qui crispe leurs muscles frêles et finissent par uriner dans leur pantalon. L'école primaire d'Azaghar est dépourvue d'un chauffage digne de ce nom. Elle est équipée de vieux poêles à mazout des années 70 et 80. Vétustes et crasseux, ils représentent un danger imminent pour la santé des enfants. Entre le bureau du directeur et les classes, le dénominateur commun est une odeur asphyxiante de gasoil et de fumée froide. «Nous allumons le chauffage juste les matinées, à petit feu. Et dès que la fumée commence à envahir la salle, les élèves toussent. Ainsi, je suis obligée d'éteindre l'appareil», témoigne une enseignante, qui a bien voulu nous faire visiter sa classe. Par appareil, il faut plutôt comprendre un tas de ferraille. Selon un parent d'élève, «la conduite de gaz naturel a été réalisée dans le village et les habitants n'attendent que le raccordement des foyers. Quant à l'école, personne n'a pensé à réaliser ne serait-ce que l'emplacement du compteur». Une virée dans la cuisine de l'école cristallise toute la difficulté que trouve le cuisinier pour assurer le repas quotidien des élèves. «Je manipule des bouteilles de gaz et Dieu sait combien ces dernières peuvent être dangereuses en cas de défaut», affirme-t-il. Le réfectoire, une salle pédagogique transformée en salle à manger, est exigu. Les 218 élèves sont nourris en trois services. Le cuisinier est aidé par les enseignantes et les agents de sécurité. «A l'heure du déjeuner, c'est l'ensemble du personnel qui met la main à la pâte. Nous manquons de personnel». L'aide-cuisinier, touchant la modique «paie» de 5000 DA dans le cadre du filet social, a fini par jeter l'éponge, tout comme les autres agents. Dans le bureau du directeur, il faut enjamber une flaque de gasoil qui coule du vieux poêle à mazout, complètement éventré, pour atteindre le siège. Le directeur de l'établissement, fraîchement installé, dit avoir hérité d'une école qui manque de tout : «Les problèmes dont souffre notre école ont été signalés depuis 2014 par mon prédécesseur. Dès que je suis arrivé, j'ai réécrit aux différents responsables, au chef de daïra, aux élus de l'APC, ainsi qu'à la direction de l'éducation, mais nous n'avons rien vu venir depuis la rentrée.» Les murs sont lézardés, la peinture s'en détache, certaines classes sont carrément classées orange par les services techniques de l'urbanisme (CTC). Les enseignants partagent les mêmes toilettes que les élèves. Le manque d'eau, ainsi que la défection de l'assainissement, rendent ces sanitaires inutilisables. Le peu de travaux qui ont été réalisés, comme l'étanchéité et la plomberie, ont été bâclés. Les panneaux de basket-ball sont entreposés dans un coin de l'école, à l'image de ces tables cassées qui pourrissent sous l'effet du temps. A Akbou comme à Adekar De la vallée d'Akbou au sommet d'Adekar, les problèmes se ressemblent. Sur le chemin de l'école du centre d'Adekar, les pneus de la voiture adhèrent difficilement à la chaussée, qui a été pourtant salée dans la matinée pour chasser le verglas. Le grand souci des habitants, rompus au froid glacial et aux conditions extrêmes de l'hiver, est la fermeture des routes en temps de neige. Au centre-ville, la neige fond lentement sur les bas-côtés de la route, laissant le verglas compliquer davantage les déplacements des villageois. A l'école du centre d'Adekar, c'est l'heure de la récréation. Les élèves se jettent sur les monticules de neige cumulée dans la cour de l'établissement. Un agent, une pelle à la main, dégage les accès des classes. Les élèves, après presque une semaine passée à la maison, ont repris le chemin de l'école. Dans ces localités lointaines, les directeurs d'établissement et les enseignants ont appris à être solidaires. «Au début, nous manquions de poêles et le gasoil arrive au compte-gouttes. On ne pouvait pas compter sur l'APC, nous savons qu'elle doit d'abord se suffire à elle-même», dit le directeur. Ce dernier a puisé dans ses relations personnelles pour se «débrouiller» les deux appareils de chauffage manquants. «En attendant qu'on soit équipés de poêles neufs, j'ai dû solliciter un collègue dans une autre école qui avait un poêle en état de marche. Le second appareil, je l'ai emprunté à un ami qui l'avait en plus chez lui», raconte-t-il. Cela dénote la démission des responsables de la DE et des moyens limités des APC les empêchant de faire face à leurs responsabilités.