Persécutés, traqués et poursuivis devant les tribunaux, des Algériens adeptes du rite religieux ahmadi sont mit au ban de la société. Une suspicion permanente pesant sur eux les contraints à une vie clandestine. S'apparentant pourtant à l'islam sunnite, cette minorité est considérée «hérétique» par l'opinion dominante et les autorités politiques. La chronique judiciaire récente est l'illustration d'une campagne massive menée contre cette minorité religieuse. Durant la dernière quinzaine du mois janvier seulement, il est recensé des arrestations en série. Deux personnes ont été condamnées à trois ans de prison ferme à Sidi Bel Abbès, trois autres ont été interpellées à Tipasa, un groupe de sept individus arrêté à Alger et sept autres ont été interpellés à Oran. Au mois de décembre 2016, six personnes ont été arrêtées à Aïn Témouchent. Un mois auparavant, dans la wilaya de Skikda, 19 personnes adeptes de cette mouvance religieuse ont été condamnées à des peines de prisons ferme. Souvent, ils sont poursuivis et condamnés pour «atteinte à la personne du Prophète, prosélytisme, pratiques religieuses illégales» et «détention de manuscrits» jugés subversifs. Une véritable chasse à l'ahmadi. Vivant dans une discrétion totale, les fidèles ahmadis sont propulsés au-devant de la scène religieuse et politique à la faveur de cette campagne. Elle est pointée d'un doigt accusateur. La minorité religieuse ahmadiyya est-elle à ce point menaçante pour la paix civile pouvant justifier une persécution doublée d'un harcèlement policier et judiciaire qui prend les allures d'une inquisition. Injustement cataloguée dans le registre des sectes dangereusement subversives, la présence des ahmadis en Algérie est perçue comme une «intrusion» dans l'espace religieux national qui «risque de miner la cohésion sociale». Un discours préalablement élaboré pour mieux légitimer la répression suivie d'une caution politique et d'une campagne médiatique qui assure un service après-vente. Pourquoi cette guerre contre une minorité religieuse qui pourtant n'est ne prône ni la violence ni l'extrémisme ? Pourquoi les autorités religieuses ne peuvent pas leur opposer un argumentaire fondé au lieu et place d'une répression policière ? Pourtant la Constitution consacre l'inviolabilité de «la liberté de conscience et la liberté d'opinion et la liberté d'exercice du culte est garantie», mais cela doit être «dans le respect de la loi», précise la Loi fondamentale. Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, depuis son installation a fait du retour au «référent religieux national tirant sa substance de l'esprit de Cordoue» son cheval de bataille pour «immuniser» la société algérienne contre toute tentative de discorde que serait l'œuvre des courants étrangers. «Nous combattons les dérives sectaires, les agissements et le prosélytisme qui risquent de diviser l'Algérie sur une base religieuse. Nous luttons l'intrusion des courants qui peuvent transposer les conflits du Moyen-Orient en Algérie», réaffirme régulièrement le ministre. Apparu en Algérie durant les années 1980, le phénomène s'est développé pendant la décennie sanglante du terrorisme. La violence des années 1990 aurait été l'une des raisons qui ont poussé des jeunes Algériens dans les bras de cette mouvance religieuse dont les origines remontent au XIXe siècle et qui a pris naissance au Penjab (Pakistan) et qui tire son nom de son fondateur Mizra Ghulam Ahmed (1835-1908). «Certains Indiens et Syriens basés en Algérie aurait joué aussi un rôle dans la diffusion des idées ahmadies dans l'enrôlement de nos jeunes. Le fait que certains de nos étudiants à l'étranger fréquentent les cercles ahmadis a eu aussi un impact», explique un conseiller au ministère des Affaires religieuses. Le lancement de la chaîne satellitaire MTA3 et de sites électroniques a donné une autre dimension à ce courant qui se proclame «réformateur et messianique». Fortement présente en Grande-Bretagne pour des raisons historiques, la communauté ahmadie jouit d'une «considération positive» en Occident, notamment après les événements du 11 Septembre 2001. «Des milieux occidentaux et américains s'emploient à présenter les ahmadis comme porteurs d'un islam tolérant et coexistant», ajoute le conseiller au ministère. Il est vrai que dans leur conception de l'islam, les ahmadis prônent la non-violence et bannissent le djihad. Ils considèrent que le djihad était fini avec la mort du Prophète de l'islam, et que le djihad au temps du Prophète était un «djihad de défense», estimant qu'aujourd'hui le djihad «n'est plus justifié d'un point de vue du fiqh (jurisprudence)». «Le djihad est l'une des raisons du sous-développement des musulmans», prêchent-ils dans leur littérature. Une conception qui les avait mis en adéquation avec les Anglais pendant la colonisation de l'Inde, et c'est à partir de là que certains historiens ont dit que «les ahmadis étaient une fabrication du colonialisme anglais», indique Bouzid Boumediene, philosophe et directeur de la culture islamique au ministères des Affaires religieuses.