Les forces irakiennes et celles dites de la coalition ont subi hier un véritable camouflet. Un affront même puisqu'une opération particulièrement audacieuse s'est déroulée dans le périmètre le plus sécurisé du pays. En effet, près de 100 « employés et visiteurs » au ministère de l'Enseignement supérieur irakien à Baghdad ont été enlevés hier par des hommes armés portant l'uniforme des commandos de la police, a annoncé le ministre, Abed Diab Al Oujaïli. « Des hommes armés se présentant comme des commandos de la police ont fait irruption dans un bâtiment du ministère et ont enlevé près de 100 employés et visiteurs, emmenés vers une destination inconnue », a annoncé le ministre. M. Oujaïli a dénoncé cet « acte terroriste » et pressé les autorités de faire tout leur possible pour assurer la sécurité des ministères et retrouver les disparus. Ce qui signifie l'échec de tout le dispositif sécuritaire, reconnu d'ailleurs aussi bien à Baghdad qu'à Washington. Les ravisseurs sont arrivés à bord d'au moins 20 véhicules dans le bâtiment du département de recherche scientifique, dans le quartier de Karrada, selon cette source. Les enlèvements collectifs, le plus souvent à caractère confessionnel, ne sont pas rares en Irak. La communauté sunnite dénonce de longue date la responsabilité des escadrons de la mort chiites agissant dans l'ombre des forces de sécurité. Le ministre de l'Enseignement supérieur, Abed Diab Al Oujaïli, est membre du Front de la Concorde, la principale coalition sunnite. Dans cette vague d'attentats et d'enlèvements, le journal londonien El Qods El Arabi a annoncé, lundi, avoir reçu une cassette-vidéo impliquant un sous-lieutenant de la police irakienne dans l'assassinat de l'avocat Khmis E Abidi, membre du collectif de défense de l'ancien président irakien, Saddam Hussein, enlevé en juin dernier de son domicile. La vidéo, réalisée par les kidnappeurs eux-mêmes, montre l'avocat le jour de son exécution, portant des traces de torture, à l'intérieur de la maison où il était séquestré, avant d'être tué par balles, a précisé le journal. Dans cette vidéo, l'un des kidnappeurs discutait au téléphone avec un certain sous-lieutenant Hazem qui le sommait de conduire l'avocat à l'extérieur de l'endroit où il était séquestré. Les proches et les voisins de l'avocat ont affirmé que le sous-lieutenant, Hazem, était parmi les éléments de la police irakienne qui ont kidnappé El Abidi. L'épouse de ce dernier a, pour sa part, déclaré que près d'une vingtaine d'hommes armés en tenue civile ont investi son domicile à 7h et ont emmené son mari, en se faisant passer pour des éléments de la sûreté relevant du ministère de l'Intérieur. Il y a lieu de signaler que le gouvernement américain a conduit dès 1999 une série secrète de jeux de guerre qui lui avait permis d'estimer qu'une invasion de l'Irak nécessiterait 400 000 soldats, sans garantie d'éviter le chaos, selon des documents qui viennent d'être rendus publics. Quelque 70 dirigeants militaires du renseignement ou diplomates ont participé à ces jeux, baptisés Desert Crossing, et devaient évaluer le nombre maximal de soldats qu'il serait nécessaire d'envoyer pour assurer l'ordre, fermer les frontières et subvenir aux autres besoins en matière de sécurité. Les documents relatant ces jeux d'anticipation ont été rendus publics samedi suite à une requête des Archives de la sécurité nationale de l'université George Washington, un institut de recherche indépendant, qui s'appuyait sur la loi américaine de liberté de l'information. « L'idée la plus répandue dit que l'erreur américaine a été de ne pas envoyer assez de soldats en Irak », a commenté Thomas Blanton, directeur des archives. « Mais le jeu de guerre Desert Crossing de 1999 suggère que nous aurions été en situation d'échec même avec 400 000 soldats mobilisés », a-t-il ajouté. Ces jeux de guerre avaient pour objet d'envisager les « pires situations » et les scénarios les « plus probables » après qu'une guerre aurait déposé l'ancien président irakien Saddam Hussein. Certaines de leurs conclusions sont très proches de la situation actuelle en Irak : remplacement du régime problématique, stabilité en péril en raison des divisions religieuses et ethniques et de la lutte pour le pouvoir, ou montée du sentiment anti-américain dans l'Iran voisin. L'échec était-il donc voulu ? Certainement pas, et même s'il en était question, il serait faux, car rien n'exclut que la situation actuelle obéisse à d'autres objectifs.