Jeudi dernier, à la faculté des sciences politiques de l'université d'Alger 3, une réunion pour l'élection du bureau local du CNES a tourné au drame. L'assemblée a été brutalement interrompue par des «agresseurs» que certains identifient comme étudiants, et d'autres comme étrangers à la faculté. Plusieurs enseignants ont été brutalisés, certains ont dû être hospitalisés. Devant cet acte ignoble, les enseignants de Sciences Po ont amorcé un mouvement de grève ; les syndicalistes agressés ont dénoncé la complicité du recteur de l'université Alger 3 et ce dernier s'en est lavé les mains. Quant au ministère de l'Enseignement supérieur, en guise de réaction à ce viol de la franchise universitaire, a demandé lundi, à travers une correspondance adressée aux responsables des établissements du supérieur, de suspendre les activités des sections et structures du Conseil national des enseignants du supérieur (CNES). Si le recteur de l'université Alger 3 a promis de sévir contre les auteurs de l'agression, il reste que ce cas de brutalité largement médiatisée — car cela s'est passé dans l'une des universités de la capitale — est loin d'être un cas isolé. Ce genre de violence est malheureusement courant dans les établissements de l'intérieur du pays. L'événement de jeudi dernier, en plus de révéler la scandaleuse ambiance qui plombe le secteur du savoir, révèle au grand jour la cacophonie qui règne au sein de l'un des plus puissants syndicats du secteur, le CNES en l'occurrence. Jadis fer de lance de l'action et porte-flambeau de la revendication syndicale, il subit aujourd'hui, après des années d'autisme, le syndrome FLN. Longtemps contesté par plusieurs sections locales du syndicat, le départ de Abdelmalek Rahmani (désormais ex-coordinateur national) et de son bureau national a fini par faire imploser le conseil. Subitement, deux ailes se sont formées, organisent des assemblées générales distinctes et s'auto-érigent représentants officiels du CNES, d'où le clash de jeudi. Profitant de cette aubaine, recteurs des universités et ministère de l'Enseignement supérieur se sont engouffrés dans cette brèche pour pouvoir donner ensuite le coup de grâce ou imposer l'asservissement. Portés par des motivations partisanes — à l'heure des élections législatives — ou d'autres intérêts moins avouables, les présidents des universités favorisent une aile au détriment de l'autre, accentuant l'animosité des néo-syndicalistes. Ce qui se passe actuellement au CNES, c'est une lutte pour la reprise en main du syndicat par deux courants politiques. C'est une bataille en règle entre les «normalisateurs» et les «islamo-opportunistes», comme les qualifie un enseignant très au fait de l'activité syndicale. Cette «partisanisation» des universités est loin d'être une vue de l'esprit. Depuis que la tutelle a donné une certaine autonomie à ces institutions, les présidents, doyens et autres décideurs les gèrent en fait comme des walis de la République, renforçant les syndicats et les organisations estudiantines qui sont du même courant politique et fragilisant les autres. Alors, la lutte de jadis qui opposait dans les années 1980 les courants modernistes qualifiés à l'époque de communistes et les islamistes reprend ses dernières années d'une manière plus pernicieuse entre les «islamistes-participationnistes» et les «normalisateurs» et partis de la majorité. Les anciens syndicalistes issus des luttes d'antan ayant et depuis quelques années déjà choisi de se retirer de la scène. Tahar Hadjar, le ministre de l'Enseignement supérieur qui encourageait tout récemment les universitaires à faire de la politique, lui qui s'affichait officiellement dans le congrès de l'une des organisations estudiantines affiliées à son parti politique (FLN) — et c'est déjà un acte partisan — mesure certainement les retombées de ces luttes internes dans le secteur tertiaire de l'enseignement. Ce sont ces mêmes luttes qui ont débordé sur les événements d'octobre 1988 et celles des années 1990. Mais le marché reste juteux pour les candidats aux élections, d'autant que l'actuel secrétaire général du FLN annonce ouvertement la favorisation du corps enseignant dans les listes électorales. L'Université, c'est plus de 1,5 million d'étudiants et quelques centaines d'autres milliers de travailleurs. Il s'agit de près de 10% du corps électoral. Mais le jeu vaut-il vraiment toute cette violence ?