Timgad, le premier long métrage du Français Fabrice Benchaouche est un concentré de clichés étalé sur une centaine de minutes. C'est un film français tourné en territoire algérien pour donner des leçons aux Algériens. Retour sur un gros navet ! Deux enfants qui courent sur les ruines du site antique de Timgad, observés de loin par une chèvre blanche. C'est en résumé l'affiche de la comédie drôlement dramatique Timgad du Français Fabrice Benchaouche, projetée en avant-première nationale, mardi dernier, à la salle Algeria, à Alger, en l'absence du réalisateur. Un réalisateur qui n'a pas pu avoir le visa à temps. Sa présence à Alger était pourtant nécessaire pour qu'il réponde à une foule de questions sur un long métrage financé à 30% par l'Algérie et qui, à sa sortie en France lors du festival de Montpellier, seules les nationalités française et belge étaient mentionnées. La fiche technique de Timgad, distribuée en France et en Belgique, efface également le nom de l'Algérie. Mais que fait donc l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) qui a coproduit le film avec sept autres producteurs belges et français ainsi qu'un Algérien (BL films) ? Et que contient le contrat de production ? Timgad sera en compétition au prochain festival maghrébin de Oujda au Maroc, prévu du 4 au 8 avril, au nom de… l'Algérie. Tout dépend donc de la géographie ! La bande-annonce est dans la même veine que l'affiche de ce film coécrit avec le romancier français d'origine algérienne Aziz Chouaki. Mokhtar (Sid Ahmed Agoumi), vieux enseignant boiteux de Timgad, s'adresse à Djamel (Mounir Margoum), archéologue français d'origine maghrébine, envoyé en mission à Timgad pour des fouilles : «Qu'est-ce que tu viens faire dans ce pays de misère ? Dans ce trou perdu ? Nous, on pense à foutre le camp et toi tu fais le contraire ?» Mais que vient donc faire Djamel «dans le trou perdu» qui est Thamugadi, cité bâtie par l'empereur romain Trajan avec ses thermes, ses temples, son forum, ses maisons, son théâtre, ses jardins, il y a plus de 21 siècles ?! Djamel est venu «éduquer» les gens de Timgad, au milieu des années 2000. «Vous ne vous rendez pas compte ici, Timgad est classé patrimoine de l'humanité par l'Unesco», lance, le torse bombé, l'archéologue, Monsieur sait tout. Le cinéaste, qui semble adorer les animaux, filme les chèvres se promenant dans le site historique. Plus loin, le cinéaste, né deux ans avant l'indépendance de l'Algérie, s'intéresse aux poules. Oui, mais comment ? Djamel habite dans une cabane, à côté de Djamila (Mériem Akheddiou), une femme qui a perdu son mari, tué par les terroristes durant les années 1990. Elle s'intéresse à l'archéologue français. Elle lui rend visite un matin et voit qu'une poule sort de sa cabane. «Tu vis avec les poules ? Les poules, on les mange. Et pour les manger, on les égorge», lance-t-elle. Elle prend alors l'oiseau, l'égorge et le sang gicle… Sauvages, dites-vous ? Poussons plus loin. Djamel, qui répare péniblement une voiture en panne depuis des années, a joué au foot chez lui, en France.
Rues poussiéreuses Il attire l'attention des enfants par ses dribbles. Mokhtar, qui rêve de monter une équipe de football avec des enfants nés tous le même jour, le 4 décembre 1996, se rapproche de Djamel, l'invite à partager une bouteille de vin, et l'affaire est conclue. L'épicier Larbi (Lotfi Yahya Jedidi) lui sert à alors du « Monsieur l'entraîneur » avec émerveillement. Attendez, Djamel, qui aurait pu s'appeler François ou Christophe, subjugue tout le monde, y compris Mustapha (Axel Bakouri), le fils de Djamila. «Il est bien Djamel», dit-il à sa mère. Et la mère de répondre : «Oui, pas comme les chiens d'ici.» L'homme, qui ne ressemble pas aux «chiens d'ici», va bien entendu raconter en images l'histoire de Timgad. Il faut bien qu'il donne des leçons. Sinon, pourquoi est- il là ? Djamel se plaint, dans une lettre à sa famille : «Qu'est-ce que je suis venu faire dans ce désert ? » Vous pouvez imaginer que Timgad avec ses vestiges et ses plaines verdoyantes au printemps est «un désert». Le scénario de Aziz Chouaki et de Fabrice Benchaouche ne craint pas de sombrer dans le ridicule. Entre temps, le cinéaste a oublié que Djamel est là pour des «fouilles». Le site n'est-il pas totalement exploré ? L'archéologue est seul, parce qu'ici, le patrimoine n'est pas la priorité de ceux qui «égorgent les poules» et qui laissent les chèvres gambader à travers les ruines. «D'une manière générale, le passé n'est pas la priorité des gouvernements. Enfin, pas tous les passés. Les épisodes glorieux qui servent politiquement sont toujours mis en avant», a déclaré Fabrice Benchaouche à un blog du site français Mediapart. On comprend pourquoi le passé Algérie-France est complètement évacué. Ne restent dans le film que deux périodes : les années 1990 avec le terrorisme et les années 2000 avec un village qui semble abandonné. Le cinéaste a veillé, pour donner crédit à son discours filmique, à ne pas montrer de rues bétonnés, de bâtiments, de commerces ou de transport en commun. Il n'y a presque rien à Timgad : Rien ? Sauf des ruelles poussiéreuses, une boutique où la limonade a la couleur du sanibon et où le Pepsi Cola est une boisson de luxe, et des maisons qui ressemblent à des épaves. A Timgad, au milieu des années 2000, selon le propos de ce film bourré de stéréotypes, les enfants n'ont pas de quoi s'acheter des maillots ou des chaussures de foot. Le petit Mustapha a récupéré un gros sac de chaussures, tombé d'un camion. Un sac qui, curieusement, porte le sigle de l'Unesco. C'était la fête au village ! Même l'imam (Lâamri Kaouane) s'est mêlé du charivari. Lâamri Kaouane, qui vient de l'univers du théâtre, a essayé de sauver un personnage disloqué dans l'écriture même du film. L'imam est caricaturé à outrance au point de lui faire jouer de la percussion dans un match ! Mustapha sera puni plus tard par le vieux Mokhtar, parce que les chaussures de l'Unesco ont été mangés par les… chèvres. Cela nous rassure, puisque les chèvres ne mangent pas les pierres, mais les chaussures de foot ! Accessoire exotique Et, bien sûr Djamel, en héros sauveur, va entraîner l'équipe de football et imposer une fille, la petite Naïma (Fella Benini). Les hommes du village refusent. L'entraîneur archéologue met alors ses gros sabots et fait un discours sur la cause féminine avant de lancer : «Je vous laisse à votre préhistoire, moi, je rentre, rejoindre la civilisation.» Il reste à Timgad mais avec ses conditions à lui. L'équipe doit affronter le Réal Batna. «Vous allez affronter votre ennemi, tout le pays vous regarde», crie Mokhtar qui parle comme un général. En football, il est question d'adversaire, pas d'ennemi ! A l'origine, le film devait s'appeler la «Juventus de Timgad» (la référence à l'Italie n'est pas un hasard) pour finalement prendre le titre de Timgad, ce qui est encore pire. La raison en est simple : «Timgad » symbolise un héritage civilisationnel, historique et culturel fort. Un héritage qui disparaît complètement dans une comédie en ruine faussement généreuse. Une comédie folklorique qui porte toutes les tares d'un certain cinéma français. Un cinéma hautain, moralisateur et toujours enclin à reproduire à l'infini les clichés sur les autres au point de les insulter sous le masque de la fiction. Fabrice Benchaouche a choisi Timgad, pas pour la beauté de celle qu'on appelle la Pompéi de l'Afrique du Nord, mais parce que cela prouve l'existence «d'une trace latine» au Maghreb, selon lui. Les dialogues sont à 90% en français. L'arabe algérien n'est utilisé que comme un accessoire exotique. C'est devenu une habitude dans les films coproduits avec les Français ou les Belges. Mais qu'impose donc l'Algérie dans les contrats de coproduction ? Et qu'en est-il de la crédibilité du récit ? Djamila vit avec un beau-père réduit au silence. Les mères des autres enfants sont invisibles et les pères tenus à la marge. Il n'existe aucune présence officielle ou institutionnelle dans ce Timgad, village de nulle part. L'Etat n'est évoqué qu'en termes de «ministère» ou de «patates avariées du gouvernement». Vous pensez que c'est de la satire, de la fiction ? Réponse du cinéaste : «Il y a un réel abandon social de certaines parties du territoire en Algérie», a-t-il dit dans la même interview. C'est donc un humour de pacotille qui cache maladroitement un vieux discours politique avec l'idée pompeuse de célébrer la débrouillardise et la solidarité. Mais, l'essentiel est toujours ailleurs, comme ce rêve de l'équipe de Mokhtar de rejoindre Marseille. Timgad , qui a pris beaucoup de la comédie italienne, est le genre de films qu'on regarde une seule fois et qu'on oublie vite. Très vite même. Timgad est projeté dans deux salles à Alger : Algeria et El Khayam, jusqu' au 30 avril prochain.