Ce 1er mai sera celui de l'action. Les 16 syndicats rassemblés en une seule organisation annoncent une marche et seront aux côtés du PT et du PST à Béjaïa. La Confédération des syndicats autonomes (CGATA), elle, compte tenir un rassemblement à Oran. Le front social monte au créneau contre la cherté de la vie, le nouveau code du travail et la loi sur la retraite. «Nous nous inscrivons dans ce mouvement de résistance aux réformes imposées par le pouvoir et qui remettent en cause tous les acquis sociaux des travailleurs arrachés après plusieurs années de luttes sans relâche. Nous avons l'habitude de célébrer le 1er Mai. Mais cette fois-ci, nous serons derrière l'intersyndicale à Béjaïa», affirme Kamel Aïssat, tête d'affiche à Béjaïa de la seule liste du Parti socialiste des travailleurs (PST) aux prochaines législatives du 4 mai, joint par téléphone. Le programme d'action prévu par les partis et les syndicats pour la célébration de la Journée internationale des travailleurs ne sera certainement pas comme les précédents. Cette journée, qui symbolise le combat des forces ouvrières, s'invite cette année non seulement en temps d'austérité mais aussi en pleine campagne électorale. L'intersyndicale, qui compte aujourd'hui 16 syndicats, appelle à une marche à Béjaïa et sera aux côtés du Parti des travailleurs (PT) et du Parti socialiste des travailleurs (PST). Quant à la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie (CGATA), qui regroupe, elle, plusieurs syndicats autonomes, elle prévoit l'organisation d'un rassemblement le même jour à Oran. Deux fronts sociaux qui appellent à «la préservation des acquis des travailleurs et manifestent frontalement leur opposition à la cherté de la vie engendrée par la loi de finances 2017, à l'avant-projet du code du travail et à la loi sur la retraite». «Empêcher le droit au syndicalisme, vouloir institutionnaliser la précarité et fragiliser les droits des travailleurs est d'une gravité intolérable. Ce nouveau code a été élaboré en faveur du patronat et non du travailleur. C'est la raison pour laquelle nous agissons avec les forces vives afin de construire un rapport de force et faire barrage à ces dérives», explique Kamel Aïssat. Et d'ajouter : «L'actuel code du travail élaboré en 1990 (90-04) est né dans un contexte de luttes et de rapports de force, notamment après Octobre 1988. L'Etat, dans sa politique libérale, veut aujourd'hui détruire ce projet et imposer un code qui instaure la régression.» Front Pour rappel, le nouveau code du travail est en suspens depuis 2014. Une autre mouture a été proposée aux syndicats en octobre 2015, mais ces derniers restent unanimes et campent sur leur position, à savoir le retrait de ce code. Le Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique (Snapap) assure que c'est «l'Organisation internationale du travail (OIT) qui bloque ledit projet après les réserves qu'il a émis au gouvernement algérien». Une position prise, selon les cadres du Snapap, par l'OIT après le rapport qui «lui a été soumis par ce syndicat autonome». Mais d'autres organisations, comme l'Intersyndicale ou les partis de gauche (PT et PST)qui défendent les droits des travailleurs, pensent plutôt que c'est le front social en lutte depuis des mois qui freine ce projet de loi. Quant à Nouredine Bouderba, expert en matière des lois de travail (voir encadré), il explique que son adoption par le Parlement n'est qu'une question de temps. Pour lui, ce n'est «qu'une tactique du gouvernement qui veut faire passer ce projet à petit feu». «Il faut savoir que sur ce nouveau code, même le gouvernement n'a pas pu trouver encore de terrain d'entente avec l'UGTA et le patronat. Mais ce n'est qu'une question de temps. Le gouvernement veut procéder par étape, car il y a aussi d'autres projets de loi qui posent problème, comme celui du code de santé qui souligne la fin de la gratuité des soins en Algérie», alerte l'expert. Nouredine Bouderba assure que les arguments avancés par le gouvernement afin de justifier le changement de l'actuel code du travail «ne tiennent pas la route». «Le gouvernement reproche à l'actuel code la flexibilité des relations de travail alors que cela est faux. Nous n'avons qu'à prendre le taux de travail temporaire dans nos entreprises qui est de 40% dans le secteur public et 84% dans le privé. Ce nouveau code n'est-il pas aussi flexible ? Le gouvernement lie aussi la question du chômage à la flexibilité des lois, alors que l'OIT contredit carrément cette analyse. Prenons le cas de l'Argentine qui a connu un taux de chômage avoisinant 21%, quand elle avait imposé une certaine flexibilité dans son code du travail et de 9,5% quand elle a élaboré un code qui défendait les droits des travailleurs», assure Nouredine Bouderba. Et d'ajouter : «Comment le privé peut dire que l'actuel code du travail favorise les syndicats, alors que 96% des entreprises privées n'ont pas de partenaires sociaux ? Le droit syndical existe mais n'est pas effectif. Les patrons disent qu'ils ne peuvent pas licencier des travailleurs, quand ils se trouvent en difficulté économique, alors que non seulement ils le font sans demander l'autorisation de l'administration, comme en Egypte, en Tunisie ou au Maroc, mais en plus, ils ne versent que trois mois de salaires comme contrepartie. Même le licenciement individuel existe. Les patrons ne versent que 6 mois de salaire aux travailleurs comme dommages et intérêts.» Débat Après sa démonstration de force en février dernier à Tizi Ouzou et l'interdiction de son action devant l'APN à Alger en novembre 2016, l'Intersyndicale investira le terrain, cette fois-ci, dans un contexte différent. Plusieurs de ses syndicalistes sont aujourd'hui candidats aux prochaines législatives. Quatre têtes de liste dans différentes wilayas, rien que pour l'Union nationale du personnel de l'éducation et de la formation (Unpef). Ces derniers représentent aujourd'hui des partis, tels que l'Union pour la renaissance, la justice et la construction (URJC), le front El Moustakbal ou le Parti de la liberté et de la justice, comme c'est le cas à El Oued. Mais il existe aussi d'autres candidats qui président aujourd'hui des listes du FFS ou du RCD. L'un des animateurs de l'Intersyndicale, en l'occurrence Messaoud Amraoui, porte-parole de l'Unpef, explique que l'objectif des syndicalistes-candidats serait de «mieux représenter les syndicats et les travailleurs dans la prochaine Assemblée nationale». «Nous revendiquons plus de libertés syndicales et non des restrictions, comme l'annonce cet avant-projet de loi du code du travail. Ce dernier rend l'activité syndicale et les grèves quasi impossibles. Mais le pire, c'est qu'il légalise le travail des enfants, ce qui est intolérable», dénonce Messaoud Amraoui qui est aussi tête de liste, à Biskra, de l'Union pour la renaissance, la justice et la construction. En l'absence d'un débat avec le gouvernement, notamment depuis l'exclusion de l'Intersyndicale de la tripartite, il ne lui reste aujourd'hui que le terrain pour se faire entendre. «L'objectif de notre marche à Béjaïa est le maintien de la pression sur le pouvoir afin de le pousser à revenir sur la loi sur la retraite et retirer l'avant-projet du code du travail. Nous dénonçons aussi par la même occasion la cherté de la vie et le pouvoir d'achat imposé par la loi de finances 2017 et nous demandons à l'Etat de trouver les mécanismes adéquats afin de régler cette situation qui pèse sur le citoyen et sur le travailleur», suggère le porte-parole de l'Unpef. Député Pour le Parti des travailleurs (PT) qui a toujours fait du combat de la classe ouvrière son cheval de bataille, la Journée internationale des travailleurs n'est encore une fois qu'une nouvelle occasion pour remettre sur la table les débats de fond, notamment sur le code du travail et la loi sur la retraite que ses 24 députés ont dénoncés devant l'APN. Joint par téléphone, Ramdane Youssef Tazibt, député sortant du PT et candidat aux prochaines législatives à Alger, explique : «Le pouvoir d'achat des Algériens a diminué de 60% selon l'Office national des statistiques. Les lois de finances 2016 et 2017 ont fragilisé la situation des Algériennes et Algériens. La réduction des budgets sectoriaux va générer des licenciements et des difficultés en termes de pouvoir d'achat ; c'est la raison pour laquelle on va se battre aussi pour la préservation du pouvoir d'achat de nos concitoyens. Assez, assez maintenant.» Concernant le nouveau code du travail, Ramdane Youssef Tazibt n'y va pas par trente-six mille chemins pour le qualifier de «moyenâgeux qui consacre l'esclavagisme». «Ce nouveau code généralise les CCD et considère les contrats indéterminés comme exception. Il instruit des obstacles pour les organisations syndicales et les grèves et facilite les licenciements des travailleurs. Il institutionnalise le travail des enfants dès l'âge de 6 ans et, pire, il décrit même combien de parts auront les parents et combien auront leurs enfants. C'est une remise en cause violente des relations de travail. Nous demandons son retrait, car il n'est même pas négociable», tranche-t-il. Libertés Du côté d'Oran, et à l'appel de la CGATA, le rassemblement prévu dans la capitale de l'Oranie verra surtout la participation du (Snapap) qui regroupe déjà plusieurs fédérations, dont celle de la santé, de l'éducation, des communaux (APC), de l'enseignement supérieur, des travaux publics, des forêts et celle des retraités. Mais il y aura aussi le Syndicat autonome de Sonelgaz (Snateg), le Syndicat des transports, celui des enseignants du supérieur (SES) et le collectif des groupes des entreprises à caractère économique. Nabil Ferguenis, porte-parole de la Fédération de l'éducation au Snapap, reste catégorique sur la question. Il appelle solennellement au retrait de ce code qui, selon lui, signe le début de «la dictature capitaliste» en Algérie. «Ce code de travail est anticonstitutionnel. Il favorise le patronat et ne protège aucunement les travailleurs. Pour nous au Snapap, ce code n'est pas discutable. Nous le rejetons systématiquement et appelons le gouvernement à le retirer définitivement», insiste Nabil Ferguenis. Et d'ajouter : «Nous dénonçons, entre autres, le système de durée du contrat spécifié, la baisse des libertés individuelles et collectives des travailleurs, la réduction de la tâche de l'Inspection du travail, la restriction de l'activité syndicale, l'ingérence des patrons dans les affaires internes des organisations syndicales, la violation du principe de la négociation dans le domaine de la relation de travail et l'exploitation des enfants dans ce nouveau code.» Désormais, la bataille des syndicats et partis contre cette loi est loin d'être gagné. Etant donné que la tripartite ne se tient qu'entre gouvernement, patronat représenté avec 10 syndicats et l'UGTA, il ne restent aux premiers que le terrain afin d'imposer leur volonté. Mais pour les syndicalistes-candidats des prochaines législatives, cette élection est considérée comme une nouvelle voie qui s'ouvre à eux. Ce n'est qu'ainsi qu'ils peuvent constituer un front d'un autre genre, celui de la bataille parlementaire. Kamel Aïssat du PST pense qu'en devenant député, «il travaillera pour l'organisation d'un front social de résistance pour empêcher l'adoption de ce nouveau code», même s'il reste convaincu que les libéraux et le pouvoir seront majoritaires dans le prochain Parlement. Ramdane Youssef Tazibt du PT assure que les députés de son parti «continueront à se battre au sein de l'APN, comme ils l'ont toujours fait». Quant aux syndicalistes-candidats Messaoud Amraoui explique que «ces derniers seront, pour lui, les porte-voix des syndicalistes et des travailleurs à l'APN». «Il y a des partis qui défendent les travailleurs mais d'autres qui ignorent nos revendications», nuance-t-il.