En dehors des hommes politiques et des médias, personne au Caire n'ignorait que le président s'adressait dimanche à l'Assemblée du peuple : le centre-ville a été spectaculairement paralysé, des embouteillages monstres ont bloqué les allées et venues pendant plusieurs heures dans la matinée, et le nombre de policiers en faction sur plusieurs kilomètres autour du siège de l'Assemblée était plus qu'impressionnant. Il est donc arrivé à parler pendant près de 40 minutes devant des députés, selon les comptes rendus caustiques de certains journaux privés, qui ont tous applaudi, y compris les représentants des Frères musulmans, « plus de 19 fois d'affilée », se levant et interrompant encore et encore le discours d'un président contraint par un tel enthousiasme à se répéter plus d'une fois. « Tant qu'un cœur battra dans ma poitrine et tant qu'il y aura un souffle, je continuerai avec vous le trajet de la transition vers le futur, assumant la responsabilité et ses charges, je ne tremblerai ni ne bougerai, je ne lâcherai pas les intérêts de la nation, sa souveraineté ou l'indépendance de sa volonté, je n'accepterai aucune pression et ne me courberai que devant Allah. » C'est donc en ces termes que s'est adressé, dimanche, le président égyptien Hosni Moubarak aux députés de l'Assemblée du peuple dans un discours très attendu depuis des semaines à l'occasion de l'ouverture officielle de la session parlementaire. Un discours attendu par la classe politique égyptienne qui, à son habitude, s'était mise à frémir de toutes sortes de rumeurs quant à l'annonce d'un possible retrait du président qui ouvrirait la porte de la succession à son fils, Gamal Moubarak. Discours attendu aussi pour en savoir plus sur les amendements à la Constitution que proposera l'exécutif, des amendements dont M. Moubarak avait annoncé, il y a deux mois, l'avènement pour l'année 2007 comme étant la plus importante modification de la Constitution que connaîtra l'Egypte depuis 1981. La « bonne nouvelle » est donc que l'article 76 de la Constitution et qui cristallise toutes les obsessions des politiques en Egypte sera amendé après avoir déjà fait l'objet d'un amendement par référendum en mai 2005. Cet article, qui était supposé marquer une nouvelle ère en Egypte permettant pour la première fois depuis la révolution des Officiers libres, il y a 53 ans, la pluralité des candidats à l'élection présidentielle, n'avait suscité que frustration, déception et véhémentes protestations parmi la classe politique au moment de son amendement en 2005. En effet, grâce à cet article, les Egyptiens avaient théoriquement le droit de choisir entre plusieurs candidats à la présidence mais les conditions de candidature étaient tellement draconiennes qu'il était pratiquement impossible à un candidat autre que celui du parti au pouvoir, le PND, de se présenter. Méfiance L'article 76 stipule entre autres que le candidat doit appartenir à un parti représenté à au moins 5% au Parlement (ce qui n'est le cas à ce jour que du PND) et le parti du candidat doit exister depuis au moins 5 années (ce qui rendait impossibles les alliances de l'opposition en vue de la présidentielle), de plus pour se présenter en tant que candidat indépendant, il faut réunir les signatures de 250 élus des deux Chambres et des gouvernorats, à savoir toutes les institutions totalement contrôlées par le PND. A la faveur des nouveaux amendements à venir, les conditions d'accession à la candidature seront donc assouplies mais personne ne sait jusqu'à quel point et les opposants se montrent déjà méfiants. Echaudés, les Frères musulmans et certaines personnalités qui avaient « la prétention » de se présenter en tant qu'indépendants à l'élection présidentielle de septembre 2005 ont vu les portes de la Constitution se fermer sur leurs ambitions, et ils continuent à penser aujourd'hui que les modifications qui seront apportées ne leur ouvriront toujours pas la possibilité de se jeter dans la bataille de la présidentielle. Car s'il s'agit pour le régime de Moubarak d'estomper quelque peu le côté caricatural de lois très peu démocratiques, il n'est pas question d'ouvrir le champ à l'adversaire politique le plus redouté, à savoir l'organisation des Frères musulmans. Mais ces derniers et les partis politiques, s'ils attirent toute l'attention des médias, ne sont pourtant pas les seuls à appréhender les amendements constitutionnels prévus pour 2007, la profession des juges et magistrats par exemple se montre inquiète par des changements annoncés sur les « relations entre l'exécutif et le législatif », les enseignants universitaires de leur côté s'agitent dans des mouvements créés pour imposer un débat sur la gratuité de l'enseignement qui serait, elle aussi, mise en péril par la Constitution en gestation. Tout un programme que ces amendements constitutionnels de 2007, « les plus importants que l'Egypte ait connus depuis 25 ans » pour reprendre une formule officielle qui, en dehors des cercles des technocrates du gouvernement, semble provoquer plus de panique que d'enthousiasme.