Les dirigeants irakiens n'aiment certainement pas être contrariés, même si les Américains, maîtres du terrain en Irak, ne jouent plus sur les mots. L'Irak s'enfonce dans le chaos, c'est le nettoyage ethnique qui avive l'esprit communautaire, sème la haine et divise le pays. C'est une évidence depuis près de deux années quand avaient débuté les premiers affrontements intercommunautaires. Et ceux-ci ont culminé, jeudi, à Sadr City, un quartier de Baghdad. Un quartier pas comme les autres puisqu'il a la particularité d'être chiite, et aussi le bastion du jeune imam Moqtada Sadr qui avec sa milice, l'armée du Mehdi, est parti en guerre contre l'occupant et aussi contre sa propre communauté qu'il juge proche ou tout simplement inféodée à celui-ci. Qui a donc été visé ce jeudi pour produire un tel chaos, jamais atteint en Irak depuis l'invasion américaine en mars 2003 ? Au moins 202 personnes sont mortes et 256 blessées dans ces attentats à la voiture piégée et des obus de mortier. Quatre voitures piégées ont explosé (...) et une dizaine d'obus de mortiers sont tombés sur le quartier », a déclaré à la télévision le général Abdel Karim Khalaf, porte-parole du ministère de l'Intérieur. Une des explosions a visé un marché de ce quartier populeux de 2,5 millions de personnes, cible fréquente d'attentats. Après l'attentat, plusieurs obus de mortier sont tombés sur le quartier sunnite d'Adamiya, faisant 10 blessés mais pas de mort. Plus haute autorité chiite d'Irak, l'ayatollah Ali Sistani a appelé à « la retenue et au calme » et demandé « aux gens de ne pas réagir illégalement ». Relatant les circonstances de l'attentat, le général Khalaf a expliqué que « huit voitures piégées sont entrées dans Sadr City : quatre ont explosé, une a été interceptée par la police qui a arrêté le chauffeur, et trois autres sont manquantes et sont recherchées par la police. L'armée a encerclé le secteur ». Aucun détail n'a été fourni sur les voitures présumées manquantes ni sur la façon dont les autorités avaient été informées de leur existence. Un peu avant les explosions, une centaine d'hommes masqués ont attaqué le ministère de la Santé contrôlé par Ali al Chemmari, partisan de Moqtada Sadr. « Cela a commencé par des tirs de mortier en provenance du quartier voisin d'Al Fahdel. Puis une centaine d'hommes masqués avec des armes automatiques ont attaqué le ministère », a déclaré M. Chemmari. L'attaque, qui s'est soldée par cinq blessés, a pris fin avec l'intervention de l'armée. Lundi à Baghdad, le vice-ministre de la Santé Hakim al Zamili avait échappé à un attentat qui avait coûté la vie à deux de ses gardes, au lendemain de l'enlèvement d'Ammar al Saffar, un autre vice-ministre de ce ministère dont on est toujours sans nouvelles. Dans la matinée, l'armée américaine a été accusée d'avoir ouvert le feu sur un minibus transportant des civils allant au travail, tuant quatre personnes et en blessant huit dont deux femmes. « Les Américains ont tiré de sang-froid sur un bus transportant des travailleurs dans la rue Al Falah, à Sadr City », a affirmé l'imam Abdoul Zahra al Zuwaïdi, un responsable du courant de Sadr. Selon un communiqué de la Force multinationale, les « Forces spéciales irakiennes, avec des conseillers de la coalition » ont conduit un raid pendant lequel ils ont « tiré sur un véhicule (...) au comportement hostile » sans faire état de morts ou de blessés. Une terminologie au demeurant connue. L'Irak, notamment sa capitale, une métropole de 7 millions d'habitants, est embourbé dans des violence confessionnelles qui ont fait des milliers de morts après le dynamitage en février d'un mausolée chiite à Samarra, au nord de Baghdad. Exclue de ce conflit, l'ONU peut tout juste compter les morts. Elle avait déjà attiré l'attention sur les dimensions qu'elle allait prendre. Ce qui est le cas actuellement. Mais qui s'en soucie. Les Américains pensent déjà à autre chose, mais quoi qu'ils fassent ils ne pourront jamais restituer aux Irakiens leur pays tel qu'il était avant qu'ils ne l'envahissent. L'Irak ne perd pas uniquement son infrastructure, mais cette fois, il s'agit aussi de son identité avec ces frontières intérieures. Ou encore, ces guerres entre Irakiens.