Depuis quelques semaines, l'huile de table, produit stratégique pour les ménages, particulièrement à la veille du mois sacré du Ramadhan, est indisponible dans les commerces de plusieurs régions du pays. L'affolement est perceptible parmi les consommateurs contraints à se plier à la loi des spéculateurs. Appliquant le système de la rétention, ces derniers ont multiplié par 2 le prix de cession du litre d'huile. A la direction générale de l'Entreprise des corps gras Seybouse (CGS), filiale du groupe Entreprise nationale des corps gras (ENCG) dont le siège est à Annaba, l'on ne semble pas inquiet de cette situation. C'est en tous les cas l'impression que nous a laissée M. Chétaïbi, directeur général de cette filiale, lorsqu'il a affirmé : « Tout rentrera dans l'ordre dès le début du mois d'octobre. Des dispositions ont été prises pour approvisionner le marché bien avant le début du Ramadhan. L'indisponibilité de notre produit dans les commerces est due à une rupture de stock en matières premières. » Interrogé sur les causes à l'origine de cette rupture, de responsable s'est refusé à toute déclaration. Il a cependant précisé qu'au même titre que les quatre autres filiales implantées à Alger, Oran, Maghnia et Béjaïa, celle de Annaba a été confrontée à un arrêt de sa production. M. Chétaïbi a, par ailleurs, précisé que la production globale des cinq filiales du groupe ENCG, 1500 t/j, assure la couverture de 60% des besoins du marché national qui oscillent entre 250 000 à 300 000 t/an, la société de statut privé, Cevital s'arroge le reste. Du côté des travailleurs, l'on n'a pas manqué de s'interroger sur cette brusque rupture de stock des matières premières que l'on n'hésite pas à imputer à une manœuvre préméditée. « Parler de rupture de stock des matières premières dans une entreprise dont la création date des lendemains de l'indépendance est ridicule. L'acquisition de ces matières premières est planifiée et les contrats d'achat signés de longue date. Cette procédure peut même être qualifiée de tradition et, en aucun cas, nos responsables ne peuvent avancer cet argument pour justifier l'arrêt, même momentané, des unités de production. Il faut chercher ailleurs les réelles motivations qui à mon avis préparent la fin de l'existence de notre entreprise au profit de cercles bien connus », a indiqué A. B., un technicien en poste à l'unité de production de Annaba depuis des années. Cet avis est contredit par M. Chétaïbi qui, apparemment irrité par la question, a précisé : « Ce qui est passé est passé. Je ne veux pas entrer dans une polémique. Je n'ai du reste rien d'autre à dire, si ce n'est que notre produit sera disponible dans les commerces à partir du 4 octobre. Il l'est déjà à Oran et Béjaïa qui produisent respectivement 300 et 400 t/j. Ces deux filiales ont été approvisionnées en matières premières. Alger (400 T/J), Annaba (100 t/j) et Maghnia (200 t/j) suivront dans les prochains jours. Je ne veux pas entrer dans des considérations qui me dépassent. » Comme une traînée de poudre, l'information sur la rupture des stocks du produit fini et des matières premières a fait le tour de plusieurs régions de l'Est. Depuis plusieurs jours, un va-et-vient incessant par des chauffeurs de taxis immatriculés dans différentes wilayas autour de l'unité de production de la filiale ECG Seybouse est enregistré. A la recherche du « bidon jaune » caractéristique de l'emballage de l'ECG, ce va-et-vient apporte un plus à l'affolement général des consommateurs. L'on s'interroge sur l'utilité des stocks prévisionnels ou de sécurité qui auraient dû servir de joint-venture dans l'attente de l'approvisionnement des stocks. Encore une fois, le directeur général élude la question par un sec « je ne sais pas pourquoi toutes les unités du groupe se sont retrouvées sans matière première. Je ne peux pas vous dire s'il s'agit d'une situation préméditée ou d'un manque de moyens financiers nécessaires à l'importation de la matière première. Je ne peux outrepasser mes prérogatives. Je sais que Cevital et Zinor, les deux sociétés privées qui détiennent l'autre part du marché national, ne sont pas concernées par le problème de rupture et tournent à plein régime. Heureusement d'ailleurs que ces deux sociétés sont là pour satisfaire plus ou moins la demande du marché. » Du côté des syndicalistes, l'on estime que cette situation a été créée à dessein en haut lieu pour mettre à genoux le groupe avec pour objectif sa cession au privé. C'est ce qu'a affirmé à qui veut l'entendre M. Messaâda, de la section syndicale qui a précisé avoir transmis à la centrale syndicale UGTA et au chef du gouvernement le rejet des travailleurs quant à la privatisation de leur outil de production, sans le passage par un avis d'appel national et international. M. Messaâda a souligné que l'unité de Annaba redémarrera avec la réception le 2 octobre de la matière première en provenance de l'Ukraine. Quels sont les fournisseurs de la matière première ? S'agit-il d'une commande groupée du groupe ENCG destinée à toutes les filiales ? Chaque filiale est-elle libre de planifier ses propres besoins et de les commander elle-même auprès des fournisseurs étrangers ? Excessivement prudent dans sa réponse, le directeur général de l'ECGS a déclaré : « Notre groupe s'approvisionne auprès de deux fournisseurs européens. Encore une fois, je ne souhaite pas provoquer une polémique en répondant à une question apparemment orientée. Il n'est pas nécessaire d'aggraver la situation. » La prudence du cadre gestionnaire pourrait se justifier par l'enjeu financier que représentent 350 000 t/an d'huile brute annuellement importées. Ce sont plus de 200 millions de dollars/an que débourse l'Algérie pour assurer la couverture des besoins nationaux en la matière. Rappelons que notre pays est presque inexistant dans le tableau des pays producteurs d'huile, qui représente 60% des échanges commerciaux à l'échelle mondiale après les céréales. Et si la superficie mondiale destinée aux cultures oléagineuses est de 201 millions d'hectares, en Algérie, elle atteignait en 1983, année de l'abandon total de cette culture, à peine 15 000 ha. Les différents projets de redynamisation de cette filière agricole, notamment à travers le développement du soja, tournesol et colza, ont été mis en veilleuse. Pourtant, un contrat-cadre, étalé sur quatre années, avait été signé en septembre 2000 à Paris entre l'Institut technique des grandes cultures (ITGC) et le partenaire européen, Association pour le développement international agronomique (Agropol). Il porte sur la relance des cultures oléagineuses en Algérie, le renforcement des équipements spécifiques, des capacités de trituration et la mobilisation des intrants avec la formation des agriculteurs.