Le chiffre est hallucinant et c'est le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Louh, qui le révèle à l'occasion de l'installation, vendredi, du nouveau procureur général de Tipasa : 3405 affaires de corruption sont en cours de traitement devant les juridictions compétentes. C'est la première fois qu'un gouvernement communique publiquement, avec chiffres à l'appui, sur le dossier de la corruption en reconnaissant l'ampleur et la dangerosité du phénomène. La sortie médiatique du ministre de la Justice, qui intervient quelques semaines après l'avènement du nouveau gouvernement de Abdelmadjid Tebboune, suivi d'un mouvement général au niveau des cours et du corps des walis, exprime-t-elle une nouvelle volonté politique en matière de prévention et de lutte contre la corruption ? Le traitement du scandale de l'affaire Sonatrach qui intéresse paradoxalement des juridictions étrangères, lesquelles enquêtent sur les principaux auteurs présumés de ce scandale, à savoir l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, et l'intermédiaire Farid Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, alors que la justice algérienne détourne le regard porté sur eux pour ne se focaliser que sur le menu fretin, a jeté un grave discrédit sur la détermination réelle de l'Etat à combattre à la racine le fléau de la corruption. On a vu comment l'ancien juge de la cour de Sidi M'hamed, M. Zermati, qui avait délivré un mandat d'arrêt international à l'encontre de Chakib Khelil, avait payé de son poste son geste, au même titre d'ailleurs que le ministre de la Justice, M. Chorfi. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui dans la nature du système politique en place en dépit des nouvelles réformes constitutionnelles, dont on n'entrevoit pas les signes d'une mise en œuvre sur le terrain pour croire qu'une opération mains propres est possible et que la justice algérienne sera désormais autorisée à aller pêcher au large pour traquer le gros poisson ? Les Algériens ont appris à se méfier et à ne plus croire aux effets d'annonce, même les plus joliment emballés dans de belles professions de foi politiques. Le ministre de la Justice avait appelé, il y a quelques mois, sur un ton quasi martial, les procureurs et les parquets de s'autosaisir systématiquement dès qu'une affaire est portée sur la place publique. On n'a pas vu depuis un emballement particulier de la justice pour relayer cet appel pressant de la chancellerie d'impliquer plus énergiquement l'appareil judiciaire dans la moralisation de la vie publique. Et pourtant, l'actualité de ces derniers mois aura été singulièrement riche en scandales ayant impliqué de hauts responsables du gouvernement dans l'affaire des Panama Papers, à l'image de l'ancien ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, et de la fille de l'ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, ou encore des propriétés immobilières somptueuses acquises à l'étranger par ces dignitaires et d'autres ! «Il faut relancer l'application de la loi sur la déclaration du patrimoine.» C'est le ministre de la Justice qui n'a pas encore satisfait à cette obligation légale au même titre que tous les autres membres du gouvernement qui le proclame. C'est l'Etat qui se parle à lui-même ; en somme, le serpent qui se mord la queue ! Le nouveau gouvernement aura-t-il les coudées franches pour donner réellement un coup de pied dans la fourmilière de la corruption ?