Leader de l'ex-opposition au régime renversé de Mouaouya Ould Taya, Ahmed Ould Daddah, a été mis en prison à six reprises. Il a vécu en résidence surveillée pendant cinq ans après le coup d'Etat de 1978. Puis il s'est exilé en Europe avant de rentrer en Mauritanie, à l'appel de l'opposition, pour participer aux élections présidentielles de 1992 et de 2003. Victime à chaque fois de la fraude électorale, Ahmed Ould Daddah n'a pas pu accéder au pouvoir. Son parti est sorti en tête du premier tour des élections législatives et municipales du 19 novembre 2006, dont le second tour s'est déroulé hier. Il revient sur ces élections et sur le processus de transition démocratique de son pays. Quelle lecture faites-vous des résultats du premier tour ? D'abord, ces élections constituent une étape importante pour la Mauritanie. Je crois qu'elles sont aussi importantes pour la sous-région et l'ensemble du monde arabe. Car, il y a, il faut le dire, un déficit de démocratie dans les pays arabes. Nous espérons que cette expérience ira jusqu'au bout et qu'elle servira d'exemple au monde arabe. Car, avec la réussite de cette étape, nous aurons démontré qu'un régime démocratiquement élu peut exister en Mauritanie et par ricochet dans les pays du Tiers-Monde. Concernant les résultats du premier tour, je dirai qu'ils ont reflété l'aspiration du peuple mauritanien à un changement ferme, mais tranquille dans la gestion des affaires politiques, économiques et sociales de notre pays. Actuellement, nous nous inscrivons dans une dynamique de victoire. Contrairement à l'ex-parti au pouvoir, qui se trouve dans une dynamique de défaite. Pourquoi ? Je dirai parce que les gens en avaient marre de la corruption, de la fraude électorale et de l'injustice. Vous vous êtes montré optimiste quant à l'issue du second tour. Qu'est- ce qui plaide en faveur de votre parti ? Il faut savoir que l'ensemble de la coalition postule pour 26 sièges. Arithmétiquement, il y a un report de voix entre nous. Mon parti, le RFD, postule pour 10 sur les 26. Nous pensons ainsi que si les choses se déroulent comme au premier tour, nous remporterons largement ces 26 sièges. Bien sûr, beaucoup d'argent a été injecté par les listes dites indépendantes qui, réellement, déséquilibrent le jeu politique. Il y a eu également beaucoup de tentatives de corruption au niveau municipal. Nonobstant tout cela, nous sommes confiants que l'électeur, qui a déjà tranché en faveur des listes de la coalition, réaffirmera son choix lors de ce second tour. Ce qui plaide en notre faveur, c'est le fait que nous sommes un parti cohérent, qui a des principes et qui n'a jamais cédé ni à la répression, ni aux sirènes des positions juteuses, ni encore moins à l'argent. Nous avons un programme et une politique cohérents. Nous demeurons fermes sur nos principes, très responsables dans nos attitudes et flexibles en dehors de nos principes fondamentaux. Ce qui pourrait jouer contre nous c'est l'argent sale injecté massivement et certaines réactions de l'administration, qui sont des survivances d'un passé récent et qui ne sont nullement cohérentes avec la politique du gouvernement et du Conseil militaire pour la justice et la démocratie. Vous avez reconnu la transparence et le bon déroulement des élections, malgré plusieurs défaillances constatées… Si nous avons fermé les yeux sur les défaillances, c'est parce que nous voulons encourager tout ce qui est démocratique. Globalement, les élections du 19 novembre se sont déroulées dans de bonnes conditions. Il y a eu neutralité de l'administration et transparence. Nous avons effectivement protesté deux mois auparavant contre l'intrusion des autorités dans le jeu électoral, malgré la neutralité affichée le jour du vote, en apportant leur soutien à certaines listes indépendantes. Le CMJD a réaffirmé ses engagements à garantir des élections propres et nous avons pris acte de cela. Effectivement, le jour du vote il y eu neutralité. Nous espérerons qu'il sera de même pour le second tour. Certaines formations relèvent la prégnance du discours tribal dans ces élections. Qu'en pensez-vous ? Le tribalisme et le régionalisme existent un peu partout dans les pays en voie de développement, dans les Aurès, dans les régions maritimes… mais notre parti se hisse au plan national, au-dessus du tribalisme et du régionalisme ambiants. Il y a effectivement des réalités qu'on ne peut ignorer. Mais cela ne change rien à notre conviction d'être un parti national qui contribuera à enraciner la démocratie dans les consciences collectives. Nous avons toujours refusé de marchander avec nos principes. Nos candidats ont été choisis selon les critères du parti, loin des considérations tribales. Quelle explication donnez-vous à l'émiettement de voix et à l'absence de majorité lors du premier tour ? La principale raison est l'inflation de listes indépendantes. Nous avons été contre ces listes non pas parce que nous sommes contre le principe de démocratie, mais parce que nous connaissons la carte politique de notre pays forte déjà de 35 partis reconnus. Un tel nombre est déjà énorme par rapport au nombre d'électeurs qui est de l'ordre de 1,5 million. Pourquoi donc rajouter les listes indépendantes ? Cela a été malheureusement fait. Chose que nous déplorons. Mais je reste persuadé qu'il s'agit d'un phénomène passager. Peut-on parler maintenant d'un début de processus démocratique réel en Mauritanie ? Si cette phase s'accomplit d'une manière satisfaisante, on pourra dire qu'on a franchi une étape importante dans ce processus de transition. Mais il reste que la prochaine présidentielle constitue un tour décisif dans cette transition. Nous croyons aux engagements, affirmés et confirmés, du Conseil militaire. Je crois que nous sommes sur la bonne voie.