Au sein du Mouvement de la réforme nationale (MRN), El Islah se conjugue au pluriel. « El fitna » (la discorde) aussi. A moins de six mois des élections législatives, le cheikh Djaballah n'est pas sûr de concourir aux joutes électorales sous l'étendard MRN. Le schisme fomenté par l'ex-président du Majliss Echoura (conseil consultatif), Mohamed Boulahia, est venu tempérer les ardeurs du cheikh. En attendant le verdict du conseil d'Etat, les jours de Djaballah et ses ouailles sont devenus de longues nuits de doute. Cela ne les empêche pas pour autant de se préparer activement aux prochaines échéances électorales. Au MRN, on a même atteint la vitesse de croisière, puisque les projets de listes des candidats du mouvement subissent en ce moment des liftings. « Cette histoire de dissidence ne nous empêche pas de dormir. Nous faisons confiance à la justice de notre pays. Le Conseil d'Etat va certainement prononcer l'annulation du verdict de la cour d'Alger du 12 juin dernier et débouter les agitateurs… » Pour Lakhdar Benkhellaf, le fidèle des fidèles de Abdallah Djaballah, il ne fait pas l'ombre d'un doute que la justice confirmera par une annulation la décision portant gel de l'exécution du verdict (du 12 juin) prononcée le 3 octobre dernier par la 5e chambre du Conseil d'Etat. Le fait que Djaballah a été réhabilité comme responsable du MRN serait d'après lui un signe annonciateur d'une « récupération » du parti via le Conseil d'Etat. Mais cette belle assurance trahit une crainte perceptible de ce que le Conseil d'Etat pourrait réserver une mauvaise surprise. Cet imbroglio politico-juridique constitue une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de Abdallah Djaballah qui en avait déjà vu d'autres. Lakhdar Benkhellaf tonne tout de même que les camarades de Boulahia sont « une minorité qui n'existe que dans la presse ». Le fait est que, depuis la présidentielle d'avril 2004, le MRN a dû subir lui aussi l'onde de choc de la réélection de Bouteflika pour qui Djaballah était l'un des plus grands opposants aux côtés de Benflis. Lentement, le mouvement de redressement créé et mené par Belkhadem au sein du FLN a fait des émules au MRN. La tête du cheikh Djaballah fut alors mise à prix par un groupe de poids lourds du mouvement sous la houlette de Mohamed Boulahia. Au commencement était la gestion « antidémocratique » du mouvement dénoncée par les redresseurs. Le mandat de Djaballah ayant expiré en 2004, ils réclamèrent le respect des statuts et des règlements du parti. Mais ce souci déclaré est perçu comme un vent de changement, une fronde destinée à déloger le cheikh de sa tribune. S'ensuivra après une longue bataille au début, à fleurets mouchetés mais qui prendra vite l'allure d'une guerre de tranchées. A coups de déclarations et communiqués, les deux camps se lancèrent dans un duel à distance. Cet affrontement « textuel » va déraper vers une affaire sexuelle… C'est sans doute un comble qu'un parti d'obédience islamique soit mêlé à une affaire de mœurs. En effet, un député de ce mouvement a créé un véritable scandale en accusant un des lieutenants de Djaballah de harcèlement sexuel. Info ou intox ? S'il est difficile de vérifier son bien-fondé, cette accusation a tôt fait de relancer de plus belle les hostilités entre les partisans de Djaballah, qui crient à la manipulation, et ceux de Boulahia, qui réclament la légalité. Cette sombre affaire aura meublé l'essentiel de l'actualité du MRN durant l'année 2005. Au bout, ce parti a fait un « petit », conduit par Djahid Younsi, suite à un congrès des redresseurs tenu à la fin de l'année 2005, parallèlement à celui tenu par Djaballah et ses partisans. Ce dernier n'a pas hésité à appuyer sur la gâchette pour exclure ses adversaires des troupes du parti. Les affublant d'un « titre » peu flatteur de « chargés de mission », en référence à leur supposée collusion avec les cercles du pouvoir, Djaballah a fortifié sa citadelle et voué ses contradicteurs aux gémonies. Ces derniers ne s'avouant pas vaincus entament une procédure judiciaire en déposant une requête à la cour d'Alger. Une action qui a abouti le 12 juin dernier au gel des activités de Djaballah et des avoirs du MRN. Djaballah a ainsi perdu la bataille, mais pas la guerre. Son recours déposé auprès du Conseil d'Etat l'a réhabilité. Mais pour combien de temps encore ? « Définitivement », soutient Lakhdar Benkhellaf, également vice-président de l'APN pour qui le feu vert du Conseil d'Etat n'est qu'« une question de jours ». En attendant, Djaballah et ses collaborateurs mettent le cap sur les prochaines élections. Les listes des candidats sont soigneusement fignolées pour ne pas laisser passer ceux qui ne seraient pas en odeur de sainteté auprès du cheikh. « On doit impérativement faire attention aux chargés de mission pour ne pas rééditer le scénario des députés ayant démissionné », affirme le bras droit de Djaballah. Ce dernier a déjà battu le rappel de ses troupes depuis octobre 2005 en instruisant les responsables des bureaux de wilaya de plancher sur les projets de listes électorales. Des listes qui devront subir un toilettage au Majliss Echoura qui aura également à enrichir et actualiser le charte du député et le contrat de l'élu. Le MRN axe néanmoins ses efforts ces derniers jours sur les sénatoriales qui auront lieu à la fin du mois et dans lesquelles ses dirigeants entendent tirer leur épingle du jeu. Il y a quelques jours, Djaballah a réuni un conseil national des élus à Zeralda pour leur montrer la conduite à tenir et la stratégie à adopter pour placer « quelques frères » au Sénat. Il y a été également procédé à l'évaluation de la précampagne électorale qui a commencé « en janvier 2006 » et aux préparatifs du congrès. « El Hamdou Lillah, tout baigne ! », lance Benkhellaf, qui dresse un tableau de bord plutôt reluisant de son mouvement censé être en crise. « La crise nous a renforcés puisque beaucoup de cadres ont réintégré le parti et nous comptons investir les APC dans la majorité des 1541 communes du pays », assure Lakhdar Benkhellaf. Au MRN, on revendique plus de 250 000 adhérents pour la seule année 2006, selon les résultats de « la politique d'ouverture du mouvement ». Ses responsables sont convaincus que sous réserve « du taux de fraude », le MRN pourrait damer le pion y compris au FLN. Et le MSP ? « Ils ne font pas le poids ! », concède un député de Djaballah, le sourire en coin. Mais « le vote des morts, le dopage du corps électoral et le parti pris de l'administration » font que les responsables d'El Islah mettent un peu d'eau dans leur… vin. En parlant de vin, les responsables de ce parti s'enorgueillissent d'avoir été à l'origine de l'interdiction, en 2003, de l'importation des boissons alcoolisées. Bien que cette mesure soit supprimée quelques mois après, les députés du MRN l'exhibent encore comme un trophée de guerre, gagné à l'APN. Il en est de même pour la révision de la loi électorale en 2004 qui a « réduit sensiblement » les moyens de fraude de l'administration." Dans cette opération de charme en direction des électeurs, tous les moyens sont bons pour capter les voix. Les femmes du MRN font du porte-à-porte depuis janvier dernier. « Elles font un travail remarquable auprès des femmes au foyer pour les inciter à aller voter », atteste Lakhdar Benkhellaf, révélant que c'est sur instruction du bureau national que cette campagne de proximité, voire d'intrusion a été déclenchée. Le travail des femmes est tellement bien apprécié que Djaballah a décidé de les remercier pour leurs « précieux services », en enjoignant aux responsables des bureaux de wilaya d'intégrer la gent féminine dans les listes des candidats dans toutes les communes. Djaballah ou El Islah permanent… Le Mouvement de la réforme nationale (MRN, El Islah) est né en 1998 d'un coup d'Etat organique fomenté par un groupe de dissidents piloté par Lahbib Adami – actuellement ambassadeur en Arabie Saoudite – de l'autre mouvement Ennahda dont il est l'enfant légitime. Après avoir créé et dirigé Ennahda depuis 1990, Saâd Abdallah Djaballah fonde El Islah en compagnie de ses fidèles. Rapidement, sa jeune formation supplantera sa génitrice réduite, elle, à un appareil de soutien à Bouteflika. El Islah, auquel Djaballah a imprimé une ligne islamiste pure et dure, s'est imposé comme leader de cette mouvance. En effet, elle a pu placer 43 députés à l'APN aux législatives de 2002, juste derrière le FLN et le RND, et a enlevé 1657 élus APC/APW et gère 55 assemblées municipales. Son leader, candidat à la présidentielle de 2004, s'est classé en 3e position avec 4,8% de voix. Ces chiffres déjà importants pourraient « doubler », estime la garde prétorienne de Djaballah aux prochaines élections. Mais il y a comme une malédiction qui s'acharne sur le cheikh, puisque El Islah, qu'il a élevé comme un petit enfant, risque de lui filer entre les doigts. Garder El Islah est l'ultime prière du cheikh…