On sourira peut-être du désir de voir de préférence dans un festival de films les vieilles œuvres. Au Festival du Caire, pourquoi ne pas tourner le regard d'abord vers les affiches et la belle publication pour servir de témoignage au travail de Naguib Mahfouz. Tous ou presque, les films égyptiens importants, qui ont un arrière-plan historique, social et culturel, ont pour point commun le Prix Nobel de littérature comme inspirateur, scénariste et dialoguiste. Ces vieilles affiches, qui tapissent certains murs de l'Opéra House, nous rappellent qu'on a tant aimé Le Caire, années 1930 (Saleh Abou Seif), Miramar (Kamel El Cheikh), Khan Al Khalili (Atef Salem), Qalb Ellil (Atef Ettaïeb) et toutes les adaptations faites par Hassan El Iman, Ali Badrakhan, Hussein Mustafa… Cela aurait été un élément moteur du Festival du Caire, si on avait ressorti tous ces films. Mais dans quel état sont-ils ? On se souvient que la Cinémathèque algérienne les montrait régulièrement. Mais au Caire, on dirait qu'un rideau est tombé sur l'histoire du cinéma national. Naguib Mahfouz et le movie-business : il régnait entre eux une claire passion. L'écrivain est l'auteur de 63 scénarios. Le premier date de 1945 : Moghamarat Antar wa Abla, réalisé par Salah Abou Seif. En 1992, il remit son dernier scénario Samara El Amir. Le grand paradoxe de Naguib Mahfouz qui, par ses œuvres, a pesé sur la conscience morale des Egyptiens en raison de sa fiévreuse passion pour le peuple, c'est que, quand il s'agit de cinéma, en tant que spectateur, il aime surtout, a-t-il avoué un jour, les films comiques, les thrillers qui passent à la télévision. Il était aussi attiré par les films de cape et d'épée. Et dire que c'est le même qui écrit pour les figures importantes du cinéma misri pendant des décennies des histoires réalistes où la confrontation sociale n'est pas absente. A une époque, Naguib Mahfouz donnait ses histoires à la radio pour des feuilletons diffusés chaque soir. C'est en écoutant la radio qu'un riche producteur a décidé de financer le film phare du tandem Mahfouz-Abou Seif : Bidaya wa nehaya (1960). Quand il n'y avait pas de producteur (parce que l'histoire ne montrait pas une diva plantureuse ou un brin de comédie). Salah Abou Seif se ruine au sens propre pour faire un film en vendant sa voiture et les bijoux de sa femme. C'est arrivé en 1951 pour Lak yom ya zahim (ton jour viendra, bandit), une histoire d'ailleurs directement inspirée de l'œuvre d'Emile Zola : Thérèse Raquin. Les producteurs pressés de s'enrichir lui suggérait de faire Cléopâtre. Parmi la cascade de réalisations (Mahfouz-Abou seif), il y avait Bein al sama ou el ardh (entre ciel et terre), histoire d'un groupe coincé dans un ascenseur et certains ont laissé croire que Louis Malle a pris cette idée de Ascenseur pour l'échafaud… A la Cinémathèque d'Alger, on voyait tout aussi régulièrement les œuvres adaptées des écrits littéraires non moins importants, ceux de Tewfik Al Hakim, Taha Hussein, Ihssan Abdel Kodous, Youcef Al Sebaï… Ce cinéma-là qui brillait par son intransigeant classicisme n'existe plus. Il ne reste plus que des simulacres. L'envers du décor, au Caire aujourd'hui comme ailleurs, ce sont les films américains qui se bousculent sur les écrans. Au Caire, pendant le festival, Casino Royal fait un tabac. Et les cinéastes égyptiens qui peinent à sortir leurs films en conçoivent une grande amertume.