La crise financière que traverse le pays et la recherche de nouveaux moyens de financement de l'économie ouvrent grand la voie au développement de la finance islamique en Algérie. Les annonces autour de ce dossier se sont d'ailleurs multipliées ces dernières semaines, notamment après l'adoption du plan d'action du gouvernement. Lequel mise sur le renforcement de l'offre des produits bancaires adaptés aux besoins et aux demandes de la clientèle, «y compris le leasing, et les produits de la finance dite ‘‘islamique''», comme indiqué dans ledit plan. Les choses commencent à s'accélérer dans ce cadre au niveau des banques publiques qui passent progressivement à un système dualiste (produits conventionnels et produits participatifs conformes à la charia). Ainsi, après la CNEP-Banque (Caisse nationale d'épargne et de prévoyance), qui a lancé fin 2015 le carnet d'épargne Rasmali (mon capital) et la BDL (Banque de développement local) qui propose depuis 2016 le livret d'épargne El Badil (l'alternative) deux produits non rémunérés, ce sera prochainement au tour de la BADR (Banque algérienne de développement rural) d'intégrer les produits islamiques dans sa gamme de produits. Aux côtés de la BDL et de la CNEP-Banque, la BADR se lancera dans la finance islamique avant la fin 2017, en proposant aux clients des produits bancaires alternatifs conformes aux préceptes de la charia islamique. Objectif, selon le ministre des Finances : drainer une épargne inactive. Un créneau que deux banques privées ont déjà investi, en l'occurrence l'AGB, depuis 2008, et la Trust Bank, depuis 2014, et ce, en vertu du règlement 13-01 de la Banque d'Algérie du 8 avril 2013 portant organisation des services bancaires. Neuf banques proposeront des produits islamiques en 2018 Au total, elles seront ainsi d'ici fin 2017 cinq banques à proposer des produits alternatifs à ceux déjà en marche sur la scène bancaire et financière, que ce soit à l'égard des particuliers ou des investisseurs. Elles seront suivies par cinq autres publiques en 2018, et ce, après l'obtention de l'autorisation de la Banque d'Algérie. Ces neuf banques viendront ainsi concurrencer celles activant exclusivement dans la finance islamique, à savoir Al Baraka, créée le 20 mai 1991, et El Salam Bank, agréée en septembre 2008. A ce propos, il a rappelé que deux banques activent exclusivement dans la finance islamique depuis quelques années, à savoir Al Baraka Bank et El Salam Bank. Cela pour dire que cette finance, dont le recours à son utilisation en Algérie remonte à 1929, commence à s'installer en Algérie. Et ce, d'autant que le cadre réglementaire actuel le permet. «Donc pas besoin de revoir la loi. Peut-être plus tard», nous fera remarquer le délégué général de l'Association des banques et établissements financiers, Boualem Djebbar, alors que le ministre des Finances, Abderrahmane Raouya, n'a pas écarté, lors de l'université du Forum des chefs d'entreprises (FCE), d'aménager le cadre légal «si le besoin se fait ressentir». Pour le moment, tant que la loi le permet, l'ouverture des fenêtres islamiques au niveau des banques se poursuivra. Mais avec quels moyens humains ? Formation et adaptation Habitués à travailler uniquement dans les produits traditionnels, les personnels de ces banques ont, en effet, besoin d'adapter leurs connaissances à ces nouveaux produits. A ce sujet, le représentant de l'ABEF nous dira : «Nous avons pris ce volet en considération à travers des programmes de formation qui ont déjà commencé.» Et de poursuivre : «Il y a, en effet, la nécessité de réadapter les procédures internes des banques pour qu'elles soient conformes à la charia.» Ce que le ministre confirmera également: «Au niveau des banques publiques, on a entrepris récemment des actions en vue de lancer les nouveaux produits à travers notamment la formation des collaborateurs sur la finance islamique et l'adoption d'une organisation adaptée au système dualiste.» Il y a lieu, en effet, de noter que ce problème de formation constitue l'un des facteurs de blocage du développement de la finance islamique. C'est dans ce domaine que les efforts des banques sont attendus. Un problème qui ne se pose pas au niveau des banques versées exclusivement dans les produits conformes aux préceptes de l'islam, comme le souligneront des experts rencontrés à l'occasion de la conférence scientifique sur la finance islamique organisée la semaine dernière à Alger à l'initiative d'El Salem Bank. Une rencontre durant laquelle les intervenants ont affiché leur satisfaction quant au regain d'intérêt vis-à-vis de cette finance. «Maintenant que la volonté politique y est, l'avenir de la finance islamique s'annonce prometteur», dira le représentant du ministère des Affaires religieuses, qui rappellera au passage : «Les banques islamiques ont brillé durant la crise financière internationale et durant la crise asiatique par leur résilience. Elles n'ont pas subi les conséquences de ces situations.» Cela pour signifier la nécessité de généraliser les produits issus de cette finance. Ce que les participants à ladite rencontre ont rappelé tout au long de leurs interventions. Mais que vont rapporter réellement ces produits ? «Ils vont répondre aux besoins des agents économiques», diront-ils, soulignant que l'intérêt est de plus en plus important du côté des consommateurs et des opérateurs économiques. «La part des crédits à l'investissement a d'ailleurs augmenté en 2017», notera le directeur commercial d'El Salem Bank, pour relever l'engouement des opérateurs économiques dans ce domaine. Attirer l'informel C'est le cas, par exemple, des agriculteurs ciblés justement par les nouveaux produits. Selon l'ABEF, les services de la finance islamique, qui devraient être lancés au niveau des banques publiques fin 2017, comprendront des produits dédiés aux agriculteurs qui, à titre de rappel, bénéficient annuellement de 15 à 20 milliards de dinars de crédit saisonnier et de 40 milliards de dinars de crédits destinés à l'investissement. C'est dans ce secteur aussi, où l'on compte d'importantes sommes circulant de manière informelle, que les banques publiques veulent attirer. C'est l'un des objectifs recherchés en ouvrant des fenêtres dédiées exclusivement à la finance islamique. Le ministre en charge du secteur l'a bien souligné : «Mobiliser l'épargne hors circuit bancaire peut également offrir aux épargnants des produits qui répondent à leurs exigences en termes de sécurité. A ce titre, nous encourageons le développement des sukuks», avait-il noté en septembre dernier, annonçant par ailleurs devant le FCE qu'une disposition du projet de loi de finances 2018, une fois adopté, permettra l'émission de titres sukuks (obligation islamique) de type souverain. Mais au final, ces produits islamiques contribueront-ils réellement à capter l'argent qui circule hors banques ? A quel niveau ? Pour Nacer Hideur, P-DG d'El Salem, ce n'est pas évident. «Il est vrai que ça va drainer et capter l'argent de l'informel, mais pas de manière importante. Le problème de l'informel est plus profond qu'on le pense. Il n'est pas lié uniquement à la problématique de la conformité à la charia. Le plus important est de rétablir la confiance entre les banques et les citoyens.» Ce que notera aussi Mohammed Boudjelal, professeur en économie et membre du Haut Conseil islamique, pour qui l'épargne informelle n'est pas uniquement liée à des aspects culturel ou idéologique, même si les solutions proposées pourraient atténuer, de son avis, un tant soit peu le phénomène. Ahmed Hadj Mahammed, directeur général de GAM Assurances, estime quant à lui, que cette ouverture vers les produits dits «islamiques» réussira sans nul doute à capter l'argent de l'informel vers le circuit bancaire. Mais tout dépend aussi de l'impact qu'aura le plan de communication autour de ces produits. Les banques publiques qui ont décidé de se lancer dans ce domaine ont une carte à jouer. L'ABEF se montre pour le moment confiante. «On espère que ça va drainer le maximum de la monnaie fiduciaire circulant dans l'informel, puisque les nouveaux produits viennent répondre à la demande de la clientèle».