On savait le maire d'Alger-Centre en conflit d'influence ouvert avec le parti (le MPA) à l'origine de son ascension publique, mais de là à le voir s'engager si promptement sous les couleurs du FLN pour le nouveau mandat communal a laissé perplexe plus d'un. L'élu, qui a dû surmonter de dures épreuves psychologiques pour mériter encore la confiance de ses électeurs, a donné l'impression, en changeant aussi facilement de «camp», que la conviction politique passait finalement bien après l'impératif d'une certaine idée du carriérisme adapté aux conjonctures. Il a donc changé simplement de sponsor politique comme d'autres changeraient de chemise. Faut-il vraiment s'en étonner ? A vrai dire, l'attitude de ce maire qui est loin d'être un simple acte de vengeance après avoir défrayé la chronique en s'opposant frontalement au leader de son ex-parti, dénonçant au passage ses tentatives malsaines pour le discréditer, reste symptomatique de la réalité politique que nous vivons dans laquelle l'engagement militant ne constitue, sauf à de rares exceptions, qu'une couverture ou un faire-valoir. Une réalité qui s'explique aujourd'hui par l'indigence et le manque flagrant de rigueur de l'activité politique nationale émanant aussi bien des partis du système que de l'opposition, qui peut à tout moment virer quand les intérêts personnels ou de groupe sont en jeu. Tout est donc question de calcul politicien, de marchandage, de compromission pour que ces intérêts soient préservés sans qu'on ait conscience de perdre la face. On a vu ainsi de nombreux hommes politiques, au cours de leurs pérégrinations, abandonner sans aucun scrupule le segment idéologique autour duquel ils avaient construit leur activité militante pour se mettre au service d'une «cause» qui paraissait jusque-là totalement incompatible avec leurs idées et leur vision de la société. Parfois, ces transfuges qui ne résistent pas à l'appel des sirènes du régime ne font même pas dans l'approximatif pour demeurer quelque peu dans le giron de leurs convictions initiales. Ils basculent avec armes et bagages dans le camp adverse et changent du jour au lendemain de discours en pointant du doigt, souvent avec une virulence inouïe, les militants avec lesquels ils avaient effectué leurs classes et partagé le même combat politique et idéologique. Même ceux qui, dans l'opposition, paraissaient inébranlables dans leurs croyances, très convaincus pour défendre les nobles idéaux pour lesquels ils étaient prêts à consentir les pires sacrifices ont fini par succomber. Ils étaient, disait-on, de gauche, progressistes, ardents défenseurs des causes justes, apôtres du combat contre l'injustice et les inégalités sociales, militants acharnés pour les droits de l'homme, la liberté d'expression, la démocratie… des adversaires impénitents en somme du régime en place, symbole de la négation de tous ces motifs de mobilisation. Ils ont bradé tout ce potentiel militant, qui a parfois instauré par la contestation le rééquilibrage du rapport de force avec le pouvoir, pour s'échouer aux abords d'un système qui offre bien entendu un meilleur «confort» politique et des promotions administratives à profusion en fonction des services rendus. Ce phénomène de reniement qui va toujours à l'avantage du régime et qui fait perdre à l'opposition un effectif précieux de militants formés dans le vif de l'action s'est gravement accentué depuis l'arrivée de Bouteflika au sommet de l'Etat. L'une des stratégies employées pour consolider son système autoritariste aura été sans aucun doute celle qui devait fragmenter tous les secteurs n'adhérant pas à sa politique, à savoir partis d'opposition, presse libre, syndicats autonomes, associations citoyennes indépendantes, mouvements collégiens et estudiantins réfractaires… Avec des méthodes perfectionnées de parasitage, de noyautage, d'infiltration, de pression, de compromis et de corruption, cette stratégie s'est avérée payante puisque nous savons aujourd'hui que tous ces secteurs, qui font part d'une extraordinaire résistance, ont subi d'une manière ou d'une autre les attaques permanentes féroces du pouvoir pour les assujettir. C'est une confrontation de longue haleine qui est engagée depuis longtemps et qui, pour l'heure, si elle renforce la position répressive du pouvoir, ferme toute perspective d'émancipation pour la société. Et quand le vecteur de base de cet affranchissement, en l'occurrence la vie politique plurielle, se trouve en état de délabrement dans sa tendance à la soumission, il ne reste pas grand espoir pour le projet d'ouverture démocratique à laquelle nous aspirons tous. Il est à l'évidence très logique pour les tenants du pouvoir de vouloir compromettre tous les adversaires potentiels pour mieux régenter le pays selon la fameuse formule «diviser pour régner». Mais lorsque cette grille de domination arrive facilement à convertir les esprits les plus tenaces et les plus engagés dans la sphère du contre-pouvoir, il y a là de sérieux sujets d'inquiétude pour l'avenir de la chose politique dans notre pays. Une politique volontairement galvaudée qui corrompt ouvertement grâce au système de la rente et du clientélisme à bas prix et qui, de surcroît, rend tous les affidés du pouvoir encore plus piètres et mesquins dans leur allégeance aveugle. Résultat de l'analyse : il n'y a pas de vie politique en Algérie — au sens où l'entendent les experts en politologie — capable d'influer sur le cours des événements et donc d'agir sur la transformation de la société où ce seraient les opinions les plus éclairées et les plus convaincantes qui auront droit de cité. Comme il y a de moins en moins d'engagement politique capable de servir une cause en dehors des attraits matérialistes qui la contaminent. Pour un poste de ministre, des hommes politiques ont franchi allègrement le pas de la trahison de leur franchise militante. Tout esprit «rebelle» à l'ordre établi et profondément tourné vers le changement serait ainsi achetable ou vendable, c'est selon. Ces mouvements qu'on appelle «nomadisme politique» ne sont en fait que le reflet d'un activisme politique perverti qui se nourrit de mensonges et d'hypocrisie et devant lequel tout le monde fait semblant. A ce jeu du miroir déformant, les partis islamistes restent imbattables.