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Négociations entre la Turquie et l'Union Européenne
Des obstacles infranchissables
Publié dans El Watan le 11 - 12 - 2006

L'avenir des négociations d'adhésion de la Turquie au sein de l'UE (Union européenne) devrait se décider aujourd'hui dans le cadre solennel de la salle des conférences de la Commision à Bruxelles.
Question de solennité, il en faut et même beaucoup, mais de toutes les façons, l'Europe y tient beaucoup, mais très probablement pour répéter aux Turcs le message qui tient lieu de réponse depuis près de cinquante ans : « Doit mieux faire ». Mais les plus pessimistes le réduisent à un seul mot : « Jamais ». Et les arguments ne manquent pas. Comme cette question chypriote que l'UE avait pourtant réglée à sa manière en admettant en son sein une partie d'un pays divisé depuis 1994. L'Europe, disait-on alors en 2002, avait tranché en faveur de cette solution qui consiste à admettre en son sein un pays en guerre, alors que l'ONU poursuivait ses efforts en vue d'un règlement de la question chypriote. Pas de doute que cela ne pouvait échapper aux leaders européens. Il fallait, analysait-on alors, laisser la Turquie seule avec ce problème. Et même si Ankara envisageait de céder sur cette question, il lui resterait les autres verrous tout aussi infranchissables. Comme ce moratoire sur les nouvelles adhésions, décidé par Bruxelles afin, dit-on, de mettre de l'ordre dans les institutions. Une nouvelle constitution ? Par exemple, alors que le texte a été rejeté, et qu'il faille penser à autre chose. Afin de maintenir le principe de soumettre à référendum toute nouvelle adhésion, celui-ci ne pouvant concerner la Bulgarie et la Roumanie qui seront membres de l'UE dans peu de jours. La question du référendum, ne cessait-on de penser, ne pouvait alors concerner que la Turquie et elle principalement. Et on sait ce que cela veut dire puisque le matraquage de l'opinion et son conditionnement bat son plein. Mais il faut, toutefois, reconnaître à certains dirigeants européens une certaine franchise, en déclarant leur opposition à l'adhésion de la Turquie, car d'autres s'abritent derrière ce fameux consensus, ou érigent des obstacles qui finissent par devenir infranchissables. La France, à titre d'exemple, a voté une loi pénalisant la négation du génocide arménien, amenant les fonctionnaires de Bruxelles à souligner qu'il ne s'agit pas là d'une nouvelle condition. C'est manifestement une bien terrible gymnastique à laquelle se livre l'Europe pour ne pas avoir à dire non. En ce sens, les 25 vont tenter, aujourd'hui, à trois jours du sommet européen, de réduire leurs divergences sur les sanctions à imposer à la Turquie pour son refus d'ouvrir ses ports et aéroports au trafic chypriote grec. L'offre de dernière minute d'Ankara d'ouvrir un grand port aux navires chypriotes grecs n'a pas permis d'unifier la position des 25 avant la réunion de leurs ministres des Affaires étrangères, qui doivent se prononcer sur une suspension partielle des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE. Le Premier ministre finlandais, Matti Vanhannen, dont le pays préside l'UE jusqu'à la fin de cette année, a jugé cette proposition insuffisante. Il a ajouté que, compte tenu du flou de l'offre turque, la discussion d'aujourd'hui serait basée comme initialement prévu sur une recommandation de la Commission européenne présentée le 29 novembre. Bruxelles avait alors proposé la suspension de 8 des 35 chapitres qui jalonnent les négociations d'adhésion à l'UE, en raison du refus persistant de la Turquie d'ouvrir ses ports et aéroports au trafic chypriote grec. Après deux jours de discussions sur le contenu de l'offre turque, d'emblée rejetée par les Chypriotes grecs, le débat devrait revenir sur la question du nombre de chapitres à suspendre et des conditions à attacher pour une reprise éventuelle des pourparlers sur ces chapitres. « Il y a toujours des pays qui veulent aller plus loin et d'autres moins loin » que les 8 chapitres recommandés par la Commission, a dit une source européenne. La Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie, la Suède et l'Estonie, traditionnels « amis de la Turquie », demandent que seuls trois chapitres, ceux directement liés aux questions d'union douanière, soient suspendus, a expliqué cette source. Le Portugal est également pour une diminution du nombre de chapitres à suspendre. Le contentieux avec la Turquie porte sur l'application du protocole dit d'Ankara qui étend son union douanière avec l'UE aux dix Etats entrés dans le bloc européen en 2004, dont la République de Chypre, qu'elle ne reconnaît pas. Malgré la signature de cet accord en 2005, les Turcs refusent toujours de laisser entrer dans leurs ports et aéroports les navires et avions chypriotes grecs, c'est-à-dire de la République de Chypre qui occupe le sud de l'île. Quelques capitales, Nicosie en tête, suivies de Paris et Vienne, estiment au contraire qu'il faut geler plus de huit chapitres, selon des sources européennes. Les Chypriotes grecs exigeraient en plus une clause de révision, pour réexaminer à une date précise et éventuellement durcir à ce moment-là les sanctions contre la Turquie si elle ne respectait toujours pas le protocole d'Ankara, selon une source européenne. Une majorité d'Etats membres, notamment les pays de l'Est, seraient eux prêts à accepter un compromis proche, voire identique à la recommandation de la Commission. Un accord n'est pas assuré et la question serait renvoyée devant le sommet. Si les chefs d'Etat et de gouvernement échouaient également à s'entendre lors de leur sommet des 14 et 15 décembre, « les Chypriotes grecs menacent de toute façon de refuser l'ouverture de tout nouveau chapitre qui nécessite l'unanimité », a noté une des sources européennes. Les négociations continueraient alors à faire du sur-place, comme elles le font depuis six mois. D'aucuns diront alors que Chypre règle ses comptes, mais c'est en fin de compte ce qui a poussé à une telle situation. Pour diverses raisons. Comme le fait surtout depuis la guerre contre l'Irak, de ne pas repousser la frontière de l'Europe, et avoir pour voisin immédiat un pays en guerre. L'autre argument ne tient pas la route, puisqu'il n'y a pas de monopole sur cette question, mais il s'agirait de barrer la route à un très proche allié des Etats-Unis. Ceci empêcherait une politique extérieure commune, mais l'enjeu serait ailleurs. Car depuis peu, la Turquie n'est plus un simple marché et un pourvoyeur de main-d'œuvre. Beaucoup y voient la future puissance industrielle et technologique. Mais tout compte fait, les Turcs sont satisfaits de leur face-à-face avec l'Europe. Cela leur a permis d'étendre les règles de la démocratie et d'introduire la rigueur et l'efficacité en matière économique et financière. On parle moins de scandales. C'est un résultat de la négociation.
Un demi-siècle de tractations
La suspension partielle des négociations d'entrée de la Turquie à l'UE, envisagée par les 25, est le dernier d'une longue série de cahots qui plombent depuis près de 50 ans la volonté de ce pays, jugé pourtant stratégique, de rejoindre l'Europe. La Turquie a présenté, dès 1959, juste après la Grèce et 18 mois seulement après l'entrée en vigueur du Traité de Rome, une demande d'association à ce qu'on appelait alors le Marché commun. La Grèce voit son accord d'association avec la Communauté économique européenne entrer en vigueur dès 1962. La Turquie attendra deux ans de plus pour avoir le sien, qui évoque alors déjà « la possibilité d'une adhésion de la Turquie à la Communauté ». Cet accord sera gelé de 1980 à 1986 suite au coup d'Etat militaire en Turquie. Après la restauration d'un régime parlementaire, la Turquie pose sa candidature officielle à une adhésion en avril 1987. Mais la division de Chypre et les tensions avec la Grèce handicapent Ankara. Deux ans plus tard, la Commission émet un avis négatif, estimant que la Turquie n'est pas prête économiquement. Ankara s'impatiente ouvertement à partir du milieu des années 1990, lorsqu'elle voit les pays d'Europe centrale, arrivés bien après elle, avancer à grands pas vers l'Union. Le nouveau refus que lui opposent les Européens à Luxembourg en 1997 est vécu comme un camouflet par les Turcs. L'UE affirme alors que les « conditions politiques et économiques permettant d'envisager des négociations d'adhésion ne sont pas réunies ». Deux ans plus tard, nouveau revirement : les Européens octroient à la Turquie le statut officiel de pays candidat. Mais il faudra attendre octobre 2005, soit six ans, et une série de réformes en profondeur en Turquie, pour que l'UE accepte d'ouvrir officiellement les négociations d'adhésion avec Ankara. Celles-là mêmes qui sont menacées aujourd'hui. Par comparaison, la plupart des ex-pays communistes d'Europe centrale ont bouclé le parcours en 10 ans à peine : les premiers ont posé leur candidature en 1994 et sont entrés à l'UE en 2004.
Le chef de l'armée s'oppose à l'initiative turque pour Chypre
Le commandant en chef de l'armée turque, le général Yasar Bùyùkanit, a ouvertement critiqué une proposition du gouvernement destinée à éviter une suspension des négociations d'adhésion à l'Union européenne. La Turquie s'est déclarée, jeudi, prête à ouvrir un port et un aéroport pendant un an aux bateaux et avions chypriotes pour éviter une suspension de ces négociations, mais attend dans ce délai un règlement global de la question chypriote. « Cette ouverture signifie, selon nous, qu'il y a un éloignement de la position officielle de l'Etat (turc) », a estimé le général Bùyùkanit dans le journal Hùrriyet, jugeant que l'armée aurait dû être consultée au préalable. Affirmant avoir appris la proposition « surprise » du gouvernement par la télévision, le général Bùyùkanit, qui parle rarement à la presse, a estimé qu'un règlement à Chypre ne pourrait intervenir que « globalement » et non pas graduellement en ouvrant des ports aux Chypriotes grecs. « Evidemment, c'est la décision du gouvernement (...), je ne dirige pas la Turquie et ce n'est pas moi qui fixe la politique de l'Etat », a souligné le général Bùyùkanit. Il affirme user de son droit de « représenter » l'armée turque « qui déploie 40 000 soldats là-bas », dans le nord (turc) de l'île divisée depuis 1974. L'armée turque n'avait pas, depuis des années, manifesté une telle opposition à la politique étrangère d'Ankara. Elle a été accusée dans le passé par l'UE de trop intervenir dans la vie politique.
L'appui de George Bush
Le président américain, George W. Bush, a assuré le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, de son « ferme soutien » à l'accession de son pays à l'Union européenne, à un moment important des négociations entre Bruxelles et Ankara, a indiqué la Maison Blanche. M. Bush a appelé M. Erdogan et « a de nouveau exprimé son ferme soutien à l'entrée de la Turquie à l'Union européenne », a indiqué une porte-parole de la Maison Blanche. Cette marque de soutien est intervenue à quelques jours de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE d'aujourd'hui. La Turquie est un allié important des Etats-Unis et les Européens ne prennent pas tous bien le soutien apporté par M. Bush à la candidature turque.


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