Même le soleil ne voulait pas rater la Touiza organisée jeudi au village de Ghoufi (94 km au sud de Batna), pour célébrer le nouvel an amazigh, Yennar, plus d'une semaine avant le 12 janvier. Le soleil, il en fallait bien pour redonner vie au modèle de solidarité traditionnelle amazighe. «Partager le bonheur», comme formulé par l'un des jeunes organisateurs. Une formule poétique qui prend tout son sens au fur et à mesure du déroulement de l'événement. Et c'est au cœur de l'ancien village de Ghoufi que tout s'est passé, précisément à la placette de l'ancien souk, avec ces 32 anciens magasins dont les murs étaient couverts de tapis traditionnels pour l'occasion. Une fierté et une bénédiction du passé. Le sacrifice d'un veau, «lâajmi» comme l'appellent les villageois. Un veau acheté grâce à la participation de tous : 250 personnes, 1000 DA chacune. Il était 9h quand le veau, muselé, fut amené à la placette. Une centaine de personnes étaient là. Toutes excitées. Les gosses couraient et jouaient. Pour eux, c'est jour d'Aïd. Tout était prêt pour le sacrifice du veau. Et ils étaient nombreux à s'atteler à la tâche. Les doyens du village étaient présents, assis à quelques mètres de là, le regard fier et nostalgique. Un sacrifice pour une naissance, lance l'un d'eux. Pour Athman Guerfi, cela représente toute son enfance, son identité même. «De Ghoufi à Batna, il n'y a plus rien. Aucun commerce. Ces magasins étaient pleins de vie. Il y avait de tout», raconte-t-il à El Watan. «Cette cérémonie avait lieu la veille de chaque célébration de Yennayer. On sacrifiait une chèvre, car c'est ce qu'on pouvait offrir. La viande était partagée par des personnes qui savaient le faire. On ne pesait rien du tout. C'était pour les familles pauvres. Alors, les femmes ne cuisinaient que cela. Rien d'autre. Jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus», s'est-il souvenu, non sans émotion. Pas loin de là, se tenait Abderrahmen et quelques-uns de ses amis. Un noyau de jeunes qui s'activent pour leur village. Ce sont eux qui sont, en grande partie, responsables de l'organisation de la touiza. Des jeunes qui revendiquent leur totale indépendance. Ils n'appartiennent à aucun parti politique, aucun courant de pensée, ni aucune association. Ils sont les fils de Ghoufi, et c'est suffisant pour eux. «Ghoufi, avec ses canyons, était un village connu au niveau international. Il existe des vidéos anciennes des années 1930 avec des étrangers. Il a été négligé au fil des années par l'Etat et même ses habitants, qui l'ont quitté progressivement pour des raisons économiques. Il fallait bien gagner sa vie», nous dit Abderrahmen. Et d'ajouter que c'est à la suite d'une rencontre spontanée qu'ils ont décidé de prendre les choses en main et passer à l'action. Leur premier objectif est de rassembler les habitants du village autour de simples actions, comme le nettoyage, puis la construction de stèles symbolisant la culture amazighe. Puis est venue l'idée de faire revivre cette forme de solidarité traditionnelle. «Le vrai objectif est de rassembler les gens dans leur village natal et de partager avec eux le bonheur, l'amour et la solidarité. Il ne s'agit pas uniquement de distribuer de la viande», a-t-il souligné. S'agissant d'histoire et d'identité, ces mêmes jeunes visent manifestement à renouer les liens avec les doyens du village, apprendre d'eux la véritable histoire, leur résistance et leurs sacrifices pour leur «chez-soi». Par ailleurs, ils se sont montrés très ouverts à aider les autres villages. «Nous voulons instaurer des jumelages. Le travail de base est pour nous. Mais nous espérons être aidés par les moyens de l'Etat.» Vers les coups de 11h, tout était fait. Le veau dépecé, la viande devait sécher d'abord à l'air libre, étalée grâce à des moyens prêtés par la commune. L'après-midi, on le découpa et on le distribua. Sauf les entrailles. Car, le lendemain, on s'en servit pour cuisiner un repas collectif à l'Auberge des jeunes. Pour Azzedine Guerfi, président de l'association des Amis de Medghacen, cette résurgence de la culture amazighe, couronnée par l'officialisation de Yennayer, est l'aboutissement du combat de plusieurs dizaines d'années. «En plus de remettre sur les rails la Touiza et Yennayer, ce sont toutes nos traditions qu'il faudra retrouver. Elles ont été travesties à tel point que dans les villes, Yennayer ne veut plus rien dire. La Jmâa, le conseil des sages aussi, on devrait la réactiver. Il faut qu'on trouve un mix entre les anciennes traditions et les nouvelles pratiques. Prendre exemple sur les Mozabites, qui sont la référence maghrébine en la matière», estime-t-il. Durant des années, l'association des Amis de Medghacen a milité pour la restauration de l'identité amazighe à travers des événements et des projets concrets. Durant l'année écoulée, ce sont 3 grands projets dans la région du Ghoufi qui ont été lancés, mais qui, pour des raisons «administratives», sont encore bloqués : la mise en place d'un centre d'interprétation culturelle, la restauration d'un des anciens greniers et celle des anciennes boutiques (Tawrith) pour en faire une maison de l'artisanat. Selon des sources bien informées, l'Etat veut célébrer Yennar ou Yennayer vendredi prochain. Un symbole fort qui pourra amorcer un réel avancement, la base associative et populaire étant déjà largement présente.