Sur la route communale reliant Hassi Mamèche à Mazagran, au lieu-dit «la Piste», chaque matin, devant une baraque, une file interminable de voitures venant des 32 communes de la wilaya font la queue pendant des heures et attendent désespérément leur tour pour passer chez le contrôleur technique. Khalil est enseignant à l'université de Mostaganem, il a récemment acheté une voiture de Tlemcen. Mais dans un délai d'un mois, il doit passer chez l'ingénieur des mines afin d'authentifier le numéro de châssis de la voiture pour qu'il puisse constituer son dossier et acquérir sa nouvelle carte grise et changer l'immatriculation de son véhicule. «Si le délai expire, je n'aurai plus droit à la carte grise et la voiture pourrait être saisie, car elle sera en situation illégale», explique Khalil. Afin d'accomplir cette mission qui semble à première vue très facile, Khalil s'apprête à aller passer la nuit à «la Piste» pour espérer être le premier à passer devant l'ingénieur des mines le lendemain. Nous l'avons accompagné dans cette aventure. 22h, le tableau de bord de la voiture affiche 3°C. La route est cabossée, pas d'éclairage public ni de poste de police ou gendarmerie dans les environs. Sur place, nous trouvons déjà 19 véhicules, toutes catégories confondues. «Je suis arrivé quelques minutes après la prière d'El Icha et il y avait déjà trois véhicules devant moi. Il y a un vieux qui est là je crois depuis 19h, il avait faim et n'avait pas ramené de quoi se nourrir alors je suis allé au village lui acheter un café et un sandwich. A cette heure, tout le monde reste dans sa voiture, car c'est un endroit isolé et on a peur des agressions», témoigne un automobiliste. Khalil, c'est la cinquième fois qu'il vient faire la queue, nonobstant son emploi du temps trop chargé en cette période des examens, où il doit enchaîner les surveillances et corriger les copies de ses étudiants. «Je suis déjà venu cinq fois. La dernière fois, je suis venu à 5h et il y avait une cinquantaine de véhicules devant moi. Il était 12h30 quand mon tour est arrivé. L'ingénieur des mines est venu voir mon véhicule, un autre est venu lui demander pourquoi la procédure tarde, il est monté dans sa voiture et il n'est plus revenu en me plantant sur place», s'indigne Khalil en continuant : «Lors de ma deuxième tentative, j'ai rencontré un vieux qui est venu de Sidi Lakhdar en tracteur. Il était mort de froid et il avait passé des heures à attendre avant d'apprendre que le contrôleur des mines ne viendra pas ce jour-là car la pluie commençait à tomber. Il était effondré. Vous imaginez le voyage d'une centaine de kilomètres en tracteur dans ce froid et en plus en vain». Le lendemain matin, il a fallu attendre jusqu'à 9h15 pour voir enfin l'ingénieur se pointer. Khalil réussit finalement à avoir le coup de tampon sur sa feuille. La fin d'une aventure éreintante pour l'enseignant, qui doit, dans l'après-midi, enchaîner deux surveillances d'examens. Nous sommes allés à la direction des mines de Mostaganem pour en savoir davantage. Un ingénieur des mines qui a souhaité garder l'anonymat explique : «C'est vraiment scandaleux ce qui se passe à ‘‘la Piste''. On n'est que deux à contrôler une centaine de véhicules trois fois par semaine. Il y a un manque flagrant d'ingénieurs, car en plus de notre mission à ‘‘la Piste'', on doit aussi assister à des commissions et sortir pour contrôler les installations de gaz et d'électricité. C'est un travail très fatigant avec une grande responsabilité. Il faut qu'il y ait plus de recrutement.» Et d'ajouter : «Il faut que l'ingénieur des mines spécialisé dans les voitures ne se consacre qu'à cela, car la moindre erreur dans un numéro de châssis peut nous causer de sérieux problèmes judiciaires où on risque la prison. Nous sommes des êtres humains et on ne peut pas contrôler une centaine de voitures tout seuls». A noter que le service n'est ouvert que trois fois par semaine et les contrôleurs ne travaillent qu'une demi-journée, alors que s'il y avait davantage de personnel, «la Piste» serait opérationnelle de 8h à 16h. Avec 400 DA par véhicule et en cette période de crise, un bon rendement pourrait être bénéfique pour les caisses publiques.