Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dit l'adage populaire. On peut ajouter qu'il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Entendre les clameurs des injustices qui montent d'un peu partout. Voir les vagues de contestations qui viennent se briser sur les récifs de l'indifférence. Le pays est en ébullition, les grèves et les conflits sociaux s'enchaînent, mais les pouvoirs publics restent impassibles. Fermés comme une huître, ils donnent plutôt l'impression de se barricader face à un danger imminent qui menace leur survie. Ils font en tous cas comme si rien de grave ne se passe dans le pays. Mieux, dans les salons feutrés loin des vacarmes, là où ils se rencontrent pour échanger leurs idées, ils considèrent que ces mouvements de colère qui rassemblent, depuis quelque temps déjà, de manière permanente, des milliers de travailleurs ou de citoyens en quête de solutions à leurs problèmes, ne sont autre chose que le fruit d'une agitation orchestrée pour déstabiliser le pays. Une sordide manipulation de foules qui a pour but de créer partout des troubles et instaurer un climat d'anarchie et dont l'origine n'est jamais circonscrite. C'est une obsession qui revient dès qu'un coin de rue se met à élever la voix pour réclamer ses droits. Hier, c'était la main de l'étranger qui était brandie pour dénoncer le complot ourdi. Aujourd'hui, cette main est devenue une conspiration interne, mais avec les mêmes intentions de nuisance. La fronde populaire, aux yeux des dirigeants, n'a donc aucun fondement qui mérite débat ou réflexion sérieuse. Réduite à son expression la plus infamante, elle est toujours reléguée au rang d'une effervescence sociale ou politique passagère qu'il faut gérer avec la trique quand elle déborde du cadre. Même si cette grogne se démultiplie et occasionne de graves blocages dans plusieurs secteurs d'activité, elle aura le même traitement. Indifférence, tendance au pourrissement, répression au final… Jamais une ouverture d'esprit, une écoute intéressée qui ouvrirait les portes à une concertation intelligente pourtant indispensable pour trouver les arrangements qui pourraient éventuellement régler les hostilités. C'est à croire que le sérail ne trouve sa raison de vivre que dans la perpétuation des conflits, et qu'aller dans le sens des revendications des citoyens serait une faiblesse interprétée comme une remise en cause de l'ordre établi et du rapport qui doit lier le gouvernant et le gouverné. Les réflexes sont à ce propos bien rodés. Tous les mécontentements qui battent la chaussée sont d'abord considérés comme des mouvements séditieux qui perturbent la stabilité du régime. Et c'est à ce titre qu'ils sont réprimés sans ménagement. Les exemples ne manquent pas pour traduire dans les faits cette volonté du pouvoir de réagir, parfois de manière bestiale, pour étouffer les remous, écraser les élans de protestation. Les rassemblements des résidents dans les hôpitaux, les grèves du paramédical et du corps enseignant, pour ne citer que les manifestations les plus tenaces, pour se faire entendre devant des dirigeants insensibles aux cris de détresse, donnent bien la tonalité du grave déficit de communication qui affecte les sphères de décision. Au lieu de privilégier le dialogue permanent pour permettre à toutes les parties en confrontation de trouver leur compte, avec comme ligne de conduite qu'à chaque problème il y a toujours une solution, le gouvernement — puisque c'est lui qui est au centre de la contestation — préfère souvent la fuite en avant qui, en règle générale, n'aboutit qu'au durcissement des positions des uns et des autres. Si le conflit avec les résidents et les enseignants perdure, c'est surtout en raison de l'obstination des responsables des secteurs concernés à vouloir imposer par la force leur vision de la crise qui ne va jamais dans l'intérêt des doléances exprimées par les manifestants et les grévistes. Cette attitude de fermeté est surtout destinée à créer les blocages et à pourrir la situation. C'est, au demeurant, la même intransigeance qui a été observée à l'endroit de la mobilisation des anciens retraités de l'armée, dont les marches dans la capitale ont été empêchées par une impressionnante force antiémeute. Non seulement on a déployé un arsenal sécuritaire extrêmement disposé à user de la répression pour faire barrage aux contestataires qui voulaient simplement alerter l'opinion sur les injustices subies en matière salariale, mais ces derniers ont eu droit à une réaction énergique de la tutelle prise comme une menace pour les dissuader d'aller plus loin. C'est dire que le règlement des conflits sociaux ou autres dans notre pays est toujours à sens unique. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs ces conflits traînent toujours en longueur sans jamais — ou alors rarement —déboucher sur des solutions probantes aux problèmes ouverts aux négociations. Le seul mouvement de protestation qui est resté dans les annales pour avoir rapidement trouvé son dénouement suivi du règlement instantané des revendications formulées sous forme d'ultimatum a été comme par hasard celui des… forces de sécurité qui se sont donné rendez-vous devant le Palais d'El Mouradia pour exprimer leur colère. On se rappelle de cette marche qu'aucune bastonnade n'est venue perturber et qui a obtenu gain de cause. Les médecins et les enseignants n'ont pas cette chance de pouvoir améliorer leur situation sociale et professionnelle sans violence. C'est la contestation à double visage qui ne place pas tous les citoyens ou les corps de métier sur le même plan d'égalité quand il s'agit d'aller à leur rencontre et les rassurer. C'est la résignation pour les uns et la matraque pour les autres. Et encore, pour ces derniers, les discours les plus véhéments de la part des officiels et de certains chefs de partis proches du pouvoir pour les accabler devant l'opinion publique. Mais peut-on cacher le soleil avec un tamis ? Si l'effervescence d'un ras-le-bol durable est plus perceptible dans les enceintes des hôpitaux de la capitale, elle n'est pas moins annonciatrice de graves désordres dans plusieurs régions du pays, où le ton de la contestation sociale ne cesse de monter. Au point où la directrice du FMI en vient à parler d'un bouillonnement social dangereux au niveau du Maghreb auquel appartient l'Algérie. La projection ne vient pas de l'opposition. Il n'y a que nos dirigeants qui ne voient rien venir…