Seize jours après le début de l'opération militaire à Afrine (nord-ouest de la Syrie), Ankara peine à réaliser une avancée significative. Lancée le 20 janvier dernier, la vaste offensive militaire turque, qui se déroule sur six lignes de front dans une région enclavée comprenant 360 localités, a redoublé d'intensité avec le recours au «tapis de bombes». Depuis la prise de Jabal Barsaya des mains des forces kurdes le 31 janvier, la progression au sol des troupes de l'armée turque et des groupes auxiliaires est ralentie par le relief accidenté et l'épaisse couverture forestière des zones, qui empêchent un déploiement militaire massif et limite la mobilité et la manœuvrabilité des blindés. En dépit des pertes élevées dans les rangs des Forces démocratiques syriennes (FDS) soumises aux frappes aériennes et aux pilonnages d'artillerie, ses combattants parviennent à tenir leurs positions stratégiques à l'ouest d'Afrine. Cette offensive, qualifiée jeudi dernier d'«agression illégale» par le gouvernement syrien, semble désormais s'inscrire dans la durée en raison de la dureté des combats sur un terrain propice à la guérilla, et de la détermination turque à poursuivre la stratégie de bombardements intensifs pour déloger les FDS de ce secteur. Seul un accord avec Damas sur le retrait des forces kurdes pourrait aujourd'hui freiner les ambitions de la Turquie, qui multiplie les paris risqués. Prenant prétexte de l'intervention à Afrine pour nettoyer le secteur de la présence kurde, les Turcs avaient tenté il y a quelques jours une percée vers le sud d'Alep pour s'emparer de la colline stratégique de Tall El Iss qui surplombe l'axe routier reliant Alep à Damas. Cette attaque-surprise dans une zone nettoyée de la présence d'éléments djihadistes et située hors des territoires kurdes, sous le contrôle exclusif des forces iraniennes et du Hezbollah, témoigne de la volonté d'Ankara de chercher à réaliser des gains territoriaux dans le Nord. Ce clash avait fait dangereusement monter d'un cran la tension entre l'Iran (dont les forces sont engagées aux côtés du Hezbollah dans les combats pour défaire le siège des deux localités chiites de Foua et Kefraya dans la province d'Idleb) et la Turquie, mettant à mal l'accord conclu à Astana 6, le 15 septembre dernier, qui créé une quatrième zone de désescalade à Idleb, Lattaquié, Hama et Alep. La situation volatile sur le terrain a sans doute précipité l'«échec» du congrès de Sotchi, boycotté par le noyau dur de l'opposition et royalement boudé par les Kurdes. Malgré la participation de plus de 1500 représentants des différentes forces politiques et organisations civiles et religieuses le 30 janvier dernier et la caution onusienne apportée à l'initiative russe par la venue de Staffan de Mistura, le comité des négociations de la Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution proche de Riyad, des rebelles de l'ASL ainsi que l'acteur kurde engagé dans les combats à Afrine ont en effet refusé de prendre part au congrès du dialogue national syrien. Cette absence contrastait avec la surreprésentation de groupes de l'opposition proches des Russes à l'instar du Comité national de coordination pour le changement démocratique, dirigé par Hyatham Manaa, des délégués de la plateforme de Moscou et de la plateforme d'Astana, respectivement Qadri Jamil et Randa Kassis, ainsi que des membres du mouvement Al Ghad Al Souri du leader Ahmad Jarba. Alors que la Russie entendait assumer le rôle de maître d'œuvre pour la paix en redonnant un élan à un processus à la peine sur la base de la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité de l'ONU, qui prévoit «une gouvernance crédible, inclusive et non sectaire» de transition, sans toutefois mentionner le départ d'Al Assad, dans le fond, Sotchi s'est bornée à refléter l'évolution du rapport de force sur le terrain et la volonté de Damas et Moscou de convertir leurs gains militaires en gains politiques. L'initiative a également été un révélateur du décalage persistant entre une opposition proche de Moscou, qui s'accommode d'une feuille de route déconnectant la question de la transition des priorités politiques et celle soutenue par les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite et la Turquie, qui insiste sur ce point central. Si pour de nombreux observateurs, la volonté des Russes et des Syriens de s'écarter de Genève et faire de Sotchi un prélude à une prochaine réunion à Damas semble avoir été tenue en échec, ce revers devrait, selon eux, favoriser la revitalisation du processus politique de résolution de la crise syrienne lancé à Genève. Cette analyse élude cependant deux points fondamentaux. Le premier se rapporte à l'évolution du rapport de force militaire : les Etats-Unis réclament avec insistance un retour à Genève alors même que les conditions sur le terrain ne s'y prêtent plus. Le président de la Commission syrienne de négociations (CSN, plateforme de Riyad) Nasser Al Hariri, absent à la réunion de Sotchi, s'est cependant déclaré en faveur des résultats de la réunion et de la mise en place d'une commission chargée de rédiger une Constitution, si celle-ci intervenait sous la supervision des Nations unies. Le second point est relatif à l'agenda de Washington en Syrie. Sous couvert de la nécessité de redynamiser le processus de Genève, les Etats-Unis entendent prolonger la guerre en Syrie pour maintenir une présence militaire dans le Nord. L'objectif américain est double : poursuivre la stratégie d'endiguement de l'influence iranienne et tenir en échec une médiation russe qui aurait des conséquences régionales dans un contexte de tension croissant avec Moscou. La présentation par le Pentagone de sa nouvelle stratégie de défense nationale, qui identifie une menace stratégique russe et chinoise, ainsi que la publication par le département américain du Trésor d'une liste d'officiels et d'hommes d'affaires russes, proches du président Poutine, visés par des sanctions signalent un durcissement de la confrontation avec Moscou. Washington craint également qu'une intervention de premier plan de la Russie dans la résolution de la crise syrienne ne favorise son implication dans une recherche de solution au Yémen et en Libye, confortant ainsi son rôle de force médiatrice, agissante et pragmatique.