L'Amérique officielle se met à l'apprentissage de la langue arabe ! C'est ce qui a été décidé en haut lieu. Apparemment, ses débâcles au Moyen-Orient, en Afghanistan et dans d'autres régions du monde, lui dictent de tenir les yeux grands ouverts. Désormais, elle mise davantage sur les capacités linguistiques de ses propres enfants plutôt que sur quelques serviteurs patentés, susceptibles de défection en cours de route, ou, carrément, de trahison. Ce grand empire – c'en est un – table donc sur le tout sécuritaire linguistique, prenant ainsi à la lettre la vieille devise de Jules César : « Traduttore, traditore »*. En fait, depuis la doctrine du président James Monroe, promulguée le 2 décembre 1823, c'est la stratégique militaire antique qui ne cesse de revenir sur le devant de la scène, celle de l'Egypte pharaonique qui, pour se protéger, allait guerroyer chez ses ennemis, les Hyxôs et les Hittites, dans le Sinaï et en Asie mineure, plutôt que de les affronter chez elle. L'Amérique déclare que son intention est d'ordre sécuritaire au premier chef. Se protéger contre des menaces extérieures, fussent-elles linguistiques, est de bonne guerre. Mais, c'est là que le bât blesse, de sous-entendre que le danger viendrait des pays dont la langue véhiculaire est l'arabe. Ne serait-on pas en train d'inaugurer, outre-Atlantique, une nouvelle forme d'orientalisme qui s'opposerait radicalement à celle qui a prévalu depuis le commencement du XIXe siècle ? Certes, l'orientalisme européen avait bien des défauts, surtout quand il s'immisçait dans les affaires politiques. Néanmoins, il s'était assuré une certaine solvabilité scientifique pour tout ce qui avait trait à la classification et aux études des lettres arabes. Il s'en déduit que les « boys » vont se mettre à l'étude de la langue arabe pour mieux défoncer Baghdad, Ghaza, Kandahar et autres cités où l'on pratique la langue d'Ibn Rochd ou tout dialecte dont les phonèmes se rapprocheraient de cette dernière. On a vu, en 2003, ce qui est advenu du plus prestigieux musée du monde, celui des antiquités sumériennes, à Baghdad. Et dire que le meilleur ouvrage de référence sur la civilisation sumérienne, « History begins at Sumer », a été écrit, il y a quelques décennies par un Américain, l'historien Samuel Noah Kramer ! L'Amérique officielle n'écoute pas l'humaniste qu'est Noam Chomsky, pas plus que ses citoyens sortis massivement en 2003 pour condamner l'agression contre l'Irak. En revanche, ce qui est surprenant et en contradiction flagrante avec son statut d'empire moderne, c'est l'oreille attentive qu'elle prête au transfuge japonais, Francis Fukuyama, qui prétend que « l'Histoire » a cessé d'aller de l'avant. Le bourbier irakien vient de lui démontrer, après coup, qu'au contraire, elle fait toujours son chemin, la forme définitive de la gouvernance, donc de la civilisation, étant, par essence, en perpétuelle élaboration. A bien considérer l'histoire humaine depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, on note que les peuples n'ont cessé, jusqu'à récemment, et en dépit de toutes les souffrances endurées, de cultiver des images idylliques. Ils pensaient en avoir fini, à tout jamais, avec le colonialisme, le fascisme et les autres formes hideuses d'ingérence politique et militaire. Grande fut leur déception en découvrant que l'ogre était à leur porte ! Plutôt que de voir surgir un empire américain à visage humain, ils ont eu droit à la performance d'un mauvais élève qui n'a pas assimilé son cours d'histoire. Pourquoi continue-t-on donc de rééditer et d'enseigner The history of the decline and fall of the Roman Empire d'Edwards Gibbon ? Aura-t-on jamais la chance de voir l'Amérique changer de cap, mettre une touche beaucoup plus édifiante à la notion d'empire ? Ou bien, faut-elle qu'elle soit toujours fidèle à sa vieille politique, celle de « parler avec douceur et s'armer d'un gros bâton » ? L'Amérique n'a pas le droit de se détruire, car elle ne s'appartient pas. Boeing a beau être américain, c'est l'homme, où qu'il soit, qui pourrait en profiter. De ce fait, elle devrait reconsidérer le statut de la langue arabe dans sa politique extérieure et cesser d'en faire un épouvantail.