Sac à dos accroché aux épaules, chapeau de paille bien vissé sur la tête, Oussamane N'biyé s'attable comme tous les soirs au café de l'auberge La Dune, qui borde l'avenue Kennedy. Outre de savourer son thé mauritanien à la menthe, Oussamane prend du plaisir à compter la « recette du jour » : résultat de quelques tenues d'enfant vendues, des pantoufles, des châles et des ceintures. Le bénéfice n'est pas énorme. Mais cela ne le décourage guère. Comme nombreux autres Sénégalais, il arpente quotidiennement les rues poussiéreuses et sablonneuses de Nouakchott de long en large, à la recherche d'un éventuel chaland. Du matin au soir. Il ne connaît ni fatigue ni soif. Au contraire, il se donne l'allégresse d'aborder les gens, des étrangers surtout. « Pour vendre ici, ce n'est pas facile. On doit être gentil avec tout le monde, savoir parler, être patient et surtout avoir les nerfs solides pour subir les mauvaises humeurs », dit-il, tout sourire. Oussamane manie bien l'art du commerce, lui qui a fui une petite localité de Kaolack, au sud-est du Sénégal. « J'étais contraint d'apprendre les règles incontournables pour ce genre d'activité. Sinon, je n'aurais pas de quoi vivre », explique-t-il. Dans son cas, il y en a beaucoup à Nouakchott. Les rues exiguës de la capitale mauritanienne sont bondées de Gambiens, Maliens, Tchadiens, Ivoiriens, Guinéens, Ghanéens… mais surtout de Sénégalais. « Nous sommes nombreux ici. Nous avons même créé une association : Sénégal Town. Son siège se trouve juste à côté. Venez le visiter », nous prie Oussamane, qui tente vainement de nous fourguer des escarpins made in China. L'association sénégalaise, dont le siège donne sur l'avenue Kennedy, n'a pour vocation ni culture ni sport. Elle est plutôt à caractère commercial. Ses locaux servent de lieu de dépôt de tonnes de marchandises importées que des milliers de Sénégalais se chargent d'écouler dans la rue. A l'intérieur de cet entrepôt, on trouve des habits pour tout âge et de toutes les couleurs, des ustensiles de cuisine, des tapis, des bijoux, des objets traditionnels. Il y a même des tenues de travail. Tout. Absolument tout ce dont on pourrait avoir besoin pour s'habiller, meubler sa maison ou simplement pour faire un cadeau… Aux alentours du siège, la scène n'est pas moins prenante. Des montagnes de marchandises sont étalées à même le sol. Le regard est encore plus attiré par la « masse mouvante » de déchets qui s'ajoute au décor si lugubre d'une ville sans visage ni couleur. L'étranger est littéralement happé par cette faune marchande, parfois agaçante. Nouakchott a bien fait sa mue ! Elle ressemble au Caire, à Damas ou à d'autres villes arabes où le business est l'activité canonique de tout un peuple. Nouakchott est, elle aussi, devenue un immense bazar où tout s'offre, s'expose, se vend et s'achète dans la rue. Une capitale où le trottoir a valeur de comptoir. Au bout de la longue charmille Kennedy, les cambistes clandestins prennent place. Des jeunes et moins jeunes déambulent ça et là, à l'affût d'un regard intéressé. Euro, dollar, franc suisse, Livre sterling et bien d'autres monnaies fortes, crie-t-on de partout. Des liasses de billets de Ouguiya (monnaie locale) à la main, un jeune, dont la barbe pousse à peine, nous apostrophe : « Change ? euro, dollar ? » Business D'autres le rejoignent et courent derrière nous. Ici, tout se marchande au plus offrant. La valeur de la devise monte et descend, en fonction du client. Et là, ce sont de véritables banques ambulantes. Une sorte de square Port Saïd, une rue d'Alger connue aussi pour être une « bourse parallèle » de la devise. Orthodoxie des plus-values oblige, les détenteurs de monnaies fortes sont évidemment attirés par les taux de change alléchants que leur offrent les circuits illégaux. Outre les ressortissants africains, quelques Mauritaniens se mettent de la partie. Mais leur nombre reste insignifiant, comme dans tous les autres secteurs d'activité. « Eux, ils préfèrent aller là où ça rapporte plus à moindre effort. Le gros business. Les containers, vous comprenez », explique Oussamane, qui nous colle aux basques toujours dans l'espoir de nous vendre un objet. Son caractère jacasseur, babillard et volubile est celui de toute la « meute » marchande qui occupe les rues décapées de Nouakchott. Il trouve les Mauritaniens trop gavés pour ces d'activités qui nécessitent, selon lui, souplesse et dynamisme... C'est l'avis de plusieurs Sénégalais, qui s'adonnent pleinement à toutes sortes d'activités. Félix, un Suisse de 60 ans qui travaille dans l'administration de l'Eglise de Nouakchott, nous dira crûment : « Les Mauritaniens sont des fainéants. Ils ne travaillent pas… les peintres sont des marocains, les maçons des Sénégalais. Même la restauration est assurée par des étrangers, leurs femmes aussi ont des mômes à leur service. » Un tel constat se confirmera à force de nous rendre dans les différents coins et recoins de la ville, où vivent quelque 700 000 Mauritaniens. Berlines... A chaque rue, sur les rares charmilles et les innombrables venelles, on trouve des chantiers, des constructions qui poussent. Mais jamais d'ouvriers mauritaniens. Les Nouakchottois préfèrent quémander des postes d'emploi dans l'administration et les différents organismes et institutions de l'Etat que d'aller travailler dans ces chantiers. Au mieux, ils tiennent de fastueuses supérettes bien achalandées de produits importés et conçues selon le modèle occidental. Ceux qui sont dans le besoin, eux par contre, s'appliquent à faire la pêche artisanale. Mais là aussi, il y a plus de Sénégalais que de Mauritaniens. Pourtant, les statistiques de la Banque mondiale font état de plus de la moitié de Mauritaniens qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Ils sont donc, théoriquement, dans le besoin de travailler. Certes, dira-t-on, les couffins de la pauvreté se trouvent dans les zones rurales. De jour comme de nuit, le visiteur est surpris par les processions de voitures rutilantes qui envahissent les rues de Nouakchott. Des Mercedes dernier cri, des 4x4 flambant neuf, des berlines… y sont très prisées. Aussi, l'on voit des villas fastueuses et somptueuses s'ériger par-ci et par-là dans une vaine tentative de redonner âme à l'architecture défigurée de la capitale. « Cela est le faux-vrai visage d'un pays riche. Un signe de l'inégalité sociale. Ces gens fortunés gravitent dans les rouages du système, les autres, et ils sont majoritaires, baignent dans un quotidien des plus durs », note Cheikh Sid Ahmed, sociologue de formation et électricien de profession. En effet, Nouakchott cache mal la pauvreté et le dénuement de tout un pays. Ses trottoirs en sable, ses murs lépreux, son insalubrité et son immobilier qui pousse mal… trahissent l'impécuniosité de tout un peuple. Les quelques bâtisses émergeantes et imposantes font office de sièges de sociétés étrangères. Elles sont concentrées au niveau des artères principales, à quelques enjambées du « quartier général » des institutions de l'Etat. Les plus remarquables se trouvent sur l'avenue Charles de Gaulle et la rue Gamel Abd Nacer. C'est au bord de ces deux charmilles que s'érigent deux somptueux hôtels, Novotel et Mercure, appartenant à la chaîne hôtelière internationale Accor. Ces deux édifices d'une dizaine d'étages constituent la fierté des Nouakchottois. Aussi, l'on trouve dans le même endroit les principales institutions financières et bancaires, telles que Bacim Bank, la Banque internationale d'investissement. Comme on remarque également les directions générales des deux opérateurs de téléphonie mobile, qui représentent le joyau de l'immobilier local. Outre leurs imposants sièges au cœur de la capitale, ces deux opérateurs, comme partout dans les pays sous-développés, font rage avec leurs offres promotionnelles qui ne laissent personne indifférent. Mauritel, exemple de réussite du partenariat mauritano-marocain, et Mattel, échantillon de la percée économique tunisienne dans ce pays, ont réussi, en l'espace de quelques années, à vulgariser « El jawal », appellation locale du téléphone mobile. Outre cela, la cuisine made in étranger est fortement répandue dans les restaurants de la ville, essentiellement tenus par des Marocains. Hamburger et cheese-burger ont bien fini par avoir raison des plats traditionnels de tout un peuple. Les innombrables fast-food font plonger la ville dans une ambiance festive, servant la clientèle jusqu'à une heure tardive sous les décibels de Dimi Mint Abba, célébrissime artiste locale. Une ambiance qui, malgré tout, rend douces les nuits insomniaques des Nouakchottois. Nouakchott De notre envoyé spécial