Que ce soit pour l'opinion publique tunisienne ou pour les sources sécuritaires algériennes, l'opération qui a tenu en haleine les forces de sécurité à Tunis a bel et bien visé un groupe de terroristes puissamment armé qui s'est réfugié dans la périphérie sud de Tunis. Le régime persiste à nier l'évidence en présentant le groupe comme « de dangereux criminels » contre lesquels la poursuite a duré presque deux semaines (du 23 décembre 2006 au 3 janvier 2007). Le ministère de l'Intérieur, après avoir observé pendant toute cette période un black-out total sur l'information, a rendu public un communiqué jeudi dernier, diffusé par l'agence officielle, selon lequel douze personnes ont été tuées et quinze autres arrêtées par les forces de sécurité au sud de Tunis. « La traque des éléments du groupe criminel a pris fin mercredi après-midi et a permis aux forces de l'ordre d'abattre douze éléments du groupe et d'arrêter les quinze restants (...) », précisant plus loin que cette traque « avait commencé à la suite d'un échange de coups de feu survenu dans la nuit du 23 décembre 2006 entre les forces de l'ordre et un groupe de dangereux criminels ». La même agence officielle avait fait état d'un « nombre indéterminé de personnes abattues » sans pour autant donner des détails sur les pertes enregistrées dans les rangs des services de sécurité, sur le lieu précis de l'accrochage, et encore moins sur l'identité des assaillants éliminés. Selon des sources algéro-tunisiennes, l'opération policière a été lancée dans la région de Hammam Lif, située à 45 km au sud de Tunis, durant la nuit du 23 décembre 2006. Les services de sécurité étaient sur le point de procéder à l'arrestation d'éléments soupçonnés d'appartenir à un groupe salafiste tunisien, réfugiés dans une vieille construction retranchée, lorsqu'ils ont été accueillis avec des tirs d'armes à feu. L'échange de coups de feu a duré toute la nuit, jusqu'à l'aube de la journée du 24 décembre 2006. Officiellement, deux policiers ont été blessés, mais officieusement, deux ont été tués et deux autres blessés. Du côté des terroristes, deux ont été abattus et deux autres arrêtés vivants. Les événements se sont par la suite précipités dans la mesure où les forces de sécurité se sont rendu compte de l'importance du groupe, constitué d'au moins une trentaine d'individus puissamment armés et dont beaucoup étaient recherchés. Selon nos interlocuteurs, « leur regroupement dans cette localité n'était pas fortuit et préludait soit de la tenue d'une réunion importante soit de la préparation d'une opération criminelle spectaculaire à la veille des fêtes de fin d'année ». Ces informations rejoignent les révélations faites par des terroristes tunisiens enrôlés dans les rangs du GSPC et arrêtés il y a à peine deux semaines à Alger, selon lesquelles le groupe salafiste tunisien, qui a des relations avec les troupes de Abdelwadoud, émir du GSPC algérien, préparait une offensive sur le terrain, notamment contre des intérêts étrangers. Une stratégie beaucoup plus médiatique qui lui permettra de faire parler de lui, comme cela a été le cas pour le GSPC à la suite de l'attaque qu'il a menée contre deux bus transportant le personnel de BRC, une compagnie pétrolière américaine, à Bouchaoui, il y a près de trois semaines. Avisées, les autorités tunisiennes ont déployé un dispositif sécuritaire exceptionnel dans la région de Hammam Lif qui s'est étendu jusqu'à la localité de Soliman, une zone très boisée. Le groupe a été accroché, une semaine plus tard, et ce n'est que mercredi dernier que l'opération a pris fin avec l'élimination des terroristes. Dès la matinée, la zone a été entièrement bouclée par les forces de sécurité, lesquelles ont donné l'assaut à ce qui était considéré comme un dernier retranchement du groupe. Le premier bilan avancé par l'agence britannique Reuters, citant une source proche du ministère de l'Intérieur, fait état de 25 personnes tuées lors des échanges. Un bilan que les autorités tunisiennes ont démenti sans donner le nombre précis des victimes, mais en précisant qu'elles avaient réussi à éliminer les derniers membres « d'une bande criminelle avec laquelle elle avait déjà eu maille à partir le mois dernier ». Jeudi matin, le ministère de l'Intérieur a fait état de 12 « dangereux criminels » tués et de 15 autres arrêtés, alors que des sources sûres ont affirmé que l'opération des forces de sécurité tunisiennes s'est soldée par l'élimination de plus d'une vingtaine de terroristes et l'arrestation de plus d'une douzaine d'autres, tous des Tunisiens, dans des localités différentes et à l'issue d'assauts successifs contre plusieurs refuges. Les terroristes, après avoir été découverts, se sont éparpillés à travers de nombreuses constructions isolées et distantes entre elles de plusieurs kilomètres. Les pertes du côté des services de sécurité seraient, selon nos sources, lourdes eu égard à l'armement utilisé par les terroristes, dont des kalachnikovs, des grenades et des fusils d'assaut. La presse tunisienne privée a, quant à elle, évoqué brièvement l'opération du 23 décembre comme un fait divers relié à un trafic d'armes et de drogue, alors que dans leur édition du jeudi, les autres quotidiens ont reproduit sans commentaire le communiqué du ministère de l'Intérieur, repris par la Tap. Ce black-out du régime tunisien sur l'information liée à l'activité des groupes islamistes armés n'est pas nouveau. En 2002, l'attentat ayant visé une synagogue, sur l'île de Djerba, revendiqué par Al Qaîda avait été totalement occulté par les autorités tunisiennes, avant d'être présenté comme un accident technique. Le bilan annoncé avançait à peine deux morts, avant que les agences de presse étrangères ne diffusent la liste des 22 morts, dont 14 touristes allemands. Contacté, le secrétaire général de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Mokhtar Triki, a dénoncé cette « censure » et cette « manipulation grossière qui consiste à présenter des terroristes comme des délinquants de droit commun ». M. Triki a déclaré : « Si de petits délinquants peuvent avoir un armement aussi lourd et tenir en haleine les forces de sécurité pendant deux semaines, cela devient extrêmement dangereux pour la Tunisie. Nous savons tous que les affrontements ont eu lieu avec des salafistes et personne ne peut croire le contraire. La preuve, les autorités n'ont à ce jour pas donné ni l'identité de ces gens ni les faits qu'ils ont commis... Même le bilan avancé ne reflète pas la réalité de la situation. » Pour sa part, le Parti des travailleurs communistes et à travers son organe de presse, Al Badil, a dénoncé le « black-out » médiatique qui, selon lui, a « ouvert la porte à toutes les spéculations possibles autour de l'identité du groupe armé et provoqué une panique au sein de la population eu égard à des informations faisant état de l'éclatement d'autres accrochages à travers la ville et qui auraient fait de nombreux morts ». Intitulé « Le peuple tunisien a le droit de connaître la vérité », le parti met en garde le régime de Benali de profiter de ces événements pour rétrécir davantage les libertés, notamment les libertés de circulation, violées actuellement à travers les points de contrôle routiers. Le parti a estimé que « ces événements présagent une étape dangereuse dans la vie politique qui dément les certitudes du régime à voir instauré la sécurité et la stabilité et qui met en échec sa politique sécuritaire ». Un appel a donc été lancé aux démocrates, et à la société civile tunisienne en général, pour l'unité autour d'un front contre les conséquences de ces opérations.