Une des pièces maîtresses de ce que l'on décline sous le titre générique de procès Khalifa et qui englobe un paquet d'affaires, dont la première enrôlée depuis lundi par le tribunal de Blida porte sur le dossier d'El Khalifa Bank, manque cruellement au puzzle que la magistrate en charge de ce dossier tente laborieusement de mettre en ordre. Il s'agit bien entendu du principal accusé, l'ex-patron du groupe Khalifa dont l'absence, quoi que l'on dise, pèsera lourdement sur le déroulement du procès. Les accusés qui commencent à défiler à la barre et dont les témoignages de certains d'entre eux sont déterminants en leur qualité d'anciens proches collaborateurs de Moumen Khalifa ont permis de lever un petit coin du voile épais derrière lequel se jouait la tragi-comédie jugée par le tribunal de Blida. La magistrate en charge de ce dossier, laquelle a laissé une forte impression de professionnalisme et de perspicacité dans la conduite du procès, semble tenir le bon bout du fil d'Ariane en remontant jusqu'à la source du mal pour mettre au jour les conditions de la création du groupe Khalifa qui s‘est fait en violation des lois et règlements du pays. Les témoignages des premiers accusés ont révélé comment on pouvait contourner, outrepasser les lois de la République dans l'impunité la plus totale lorsque l'on a ses entrées dans les allées du pouvoir. Les détails croustillants livrés par les premières auditions publiques sur les pratiques de la corruption à grande échelle sur laquelle l'empire Khalifa a bâti sa puissance suffisent déjà pour enfoncer et condamner le patron du groupe Khalifa. Mais pour capitales que puissent être ces révélations pour le tribunal et la recherche de la vérité, elles ne sauraient remplacer les informations et les secrets que le patron de Khalifa, qui s'est enfermé dans un silence total depuis son exil britannique, détient et garde scrupuleusement à son niveau. Les collaborateurs de Khalifa, même ses plus fidèles parmi les fidèles, ne pouvaient avoir accès qu'à une partie de l'information sur le fonctionnement du groupe et des filiales dont ils avaient la charge. Moumen Khalifa qui avait réussi à côtoyer et à « infiltrer » le pouvoir en trônant fièrement en tant qu'invité d'honneur dans les cérémonies et banquets officiels avait son jardin secret, ses relations personnelles avec les hommes du sérail qu'il savait entretenir. Il n'avait aucune raison de parler dans son entourage professionnel même à ses plus fidèles confidents de ses liaisons « amoureuses » avec des clans du système qui avaient couvert ses forfaitures moyennant des royalties jusqu'au jour où tout bascula. Aussi, on ne peut pas raisonnablement penser que l'absence de Moumen Khalifa ne pourra rien changer au cours du procès et à la quête de la vérité, de toute la vérité, sur ce scandale. On peut comprendre à la limite l'attitude des autorités algériennes rejetant la balle aux Britanniques qui tergiversent sur la demande d'extradition de Moumen Khalifa qui devrait emprunter le long cheminement de la ratification par les parlements des deux pays avant de devenir effective ! Mais ce que l'on comprend moins, en revanche, c'est l'omerta que s'est imposée Moumen Khalifa depuis sa fuite à l'étranger. Depuis son départ d'Algérie et même avant son départ, il ne s'est exprimé que deux fois. La première fois, c'était pour répondre à un article de presse, El Watan en l'occurrence, qui avait donné l'information du gel de ses avoirs et la seconde fois en accordant un entretien de Londres au Soir d'Algérie pour s'exprimer sur certaines accusations dont il est l'objet. Les analystes qui suivent ce dossier auront remarqué que ses propos sont à chaque fois mesurés et rigoureusement ciblés. Pour un homme qui est dans le creux de la vague, il faut convenir que sa stratégie de défense est, le moins que l'on puisse dire, énigmatique. De deux choses l'une : ou bien qui ne dit mot consent. Autrement dit, il plaide implicitement coupable. Ou bien alors, son silence est en soi toute une plaidoirie. C'est un silence négocié. Qui a intérêt à ce que Moumen Khalifa se taise ? Ce dernier n'a pourtant, selon toute apparence, plus rien à perdre. Il a déjà tout perdu même si l'argent brassé ne l'a pas été de façon honnête et convenante. Alors qu'est-ce qui l'empêcherait donc, de Londres où la presse ne se ferait pas prier pour s'en faire l'écho, à dire ce qu'il sait sur ce scandale et à se défendre ? Jusqu'ici il s'était contenté de politiser son affaire en se présentant comme une victime de règlement de comptes politique imputant sa chute à son positionnement dans la dernière élection présidentielle en faveur de Benflis. Trop peu convaincant pour les lourdes charges qui pèsent sur lui et dont certaines commencent déjà à se confirmer avec les premières auditions du tribunal.