Fadila Mehal-Ettayeb lance son association « les Marianne de la diversité » dans la bataille politique à quelques semaines de l'élection présidentielle. Sa pétition « aux urnes d'accord, la diversité d'abord » est un pavé dans la mare du Landerneau politique. Fadila Mehal-Ettayeb est haut fonctionnaire, ancienne conseillère ministérielle du pôle Borloo, membre du conseil économique et social et Chevalier de la légion d'honneur. Quels sont les objectifs de votre association « les Marianne de la diversité » ? Notre association est née d'un constat et d'une urgence. Constat : les femmes issues de la diversité sociale, culturelle et ethnique de la France d'aujourd'hui ne sont pas suffisamment visibles dans l'espace public. et quand elles le sont, c'est par le prisme de la figure de la femmes battue, de la femme écrasée, alors qu'en réalité beaucoup de femmes réussissent, avancent et peuvent être des exemples positifs pour toute la société. Urgence : car aucune société ne peut réussir si elle laisse au bord du chemin la moitié de sa population. C'est d'abord un gâchis en matière de management des ressources humaines mais c'est aussi un risque social et politique, car l'inégalité et l'injustice sont des terreaux fertiles pour le communautarisme et le populisme. Vous faites un constat sans appel. L'assemblée nationale est monochrome. Croyez-vous qu'il est possible d'apporter un peu de couleurs ? Oui, je pense. c'est l'objet de notre initiative citoyenne et de notre pétition « Aux urnes d'accord, la parité et la diversité d'abord ». Aujourd'hui à l'Assemblée nationale française, c'est le zéro pointé en matière de diversité et à peine mieux pour la parité (12,3% de femmes à l'Assemblée). Il faut que la représentation politique soit à l'image de la sociologie de notre nation, jeune, féminine, métissée. Il faut donc que les choses changent. C'est vital pour notre démocratie, car le doute et la défiance se sont déjà installés à l'égard de nos institutions politiques. Certains s'en détournent et explorent d'autres formes de représentation et d'expression et, celles-ci, ne sont pas toutes conformes à notre idéal républicain ; je pense par exemple au vote communautaire. Notre pétition bouscule un peu les partis politiques et tous ont pris contact pour nous recevoir. J'espère qu'il sortira de nos échanges des avancées tangibles et mesurables pour l'intérêt de la France. D'ailleurs, nous n'avons fait que suivre la réflexion entamée par le Haut conseil à l'intégration qui a organisé, il y a un mois, un colloque à Sciences po avec des conclusions identiques. Vous dites que l'origine ne doit pas primer sur la compétence. Que pensez-vous de la discrimination positive ? Je pense que l'origine réelle ou supposée n'est pas une compétence en soi pour faire de la politique ou même autre chose. Ceux qui veulent réduire certains militants à une assignation identitaire se trompent. La diversité de nos origines n'est pas un fardeau si elle est assumée ; elle peut être un cadeau si elle participe au développement et au rayonnement de la société. Sur la discrimination positive, en tant que républicaine convaincue, j'y suis foncièrement opposée si elle consiste à catégoriser les individus par quota ou par ethnie. Je crois davantage à la mobilisation positive et à l'égalité des chances qui permettent de « donner plus à ceux qui ont moins ». Cela conduit à combler les handicaps et à compenser les retards que certains connaissent dès la naissance. Je crois que le modèle anglo-saxon n'est pas exportable en France car les français restent attachés à l'universalisme républicain et à ses valeurs, même si ce modèle doit être bien sûr actualisé et réformé pour être plus concret et inscrire dans les faits ce qu'il célèbre dans les paroles. Il y a dans votre association des militantes de tous les bords politiques républicains (UMP, PS, UDF). Comment surmontez-vous ces difficultés au quotidien ? D'abord, il n'y a pas de difficultés au quotidien car ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise. J'ai demandé à des femmes politiques de tous bords dont mes amies Roselyne Bachelot (UMP) et Bariza Khiari ( PS) de soutenir notre démarche, comme j'ai demandé à des philosophes prestigieux, tels Edgar Morin ou Blandine Kriegel de nous accompagner ; tous ont accepté car ils ont compris qu'au-delà de notre diversité et de nos différences, ce qui nous anime, c'est notre communauté de destin et la volonté de construire « du vivre ensemble » dans nos villes et dans nos quartiers. Aujourd'hui nous soutenons de nombreuses femmes dans leur combat politique, certaines ont reçu l'investiture de leur parti pour les prochaines législatives. Pour moi, ces « Marianne de la diversité », quel que soit leur bord politique, défendent le bien le plus précieux : celui de la compétence, de la dignité et de la mémoire à leurs parents qui ont tant fait pour la France. Pour cela, elles méritent d'accéder aux plus hautes fonctions. Sur le plan personnel, comment vivez-vous vos origines algériennes ? Plus que tout autre, je suis attachée à mon passé, à ma mémoire et à mon histoire, car j'en connais le prix. Les Marianne de la diversité sont aussi dédiées à nos pères et à nos mères qui ont su nous élever dans la dignité et le respect. Mes parents, grâce à qui j'ai pu conduire des études universitaires, m'ont enseigné cette devise : « Tenir et se tenir » ou la patience et l'intégrité. Ce sont des valeurs fortes, emblématiques de la terre algérienne. Le peuple algérien reste dans mon cœur malgré la distance et l'éloignement, je puise dans son exemple la fierté d'être née dans ce pays, et j'y reviendrai sans doute pour mon dernier voyage. Les Marianne s'intéressent aussi aux femmes du Sud (les Kahéna) ? Ce serait une faute, historique, politique et géo-stratégique que de ne pas s'y intéresser ! Celles qui nous ont précédées nous ont montré et ouvert la voie. Nous avons beaucoup à apprendre d'elles, de leurs résistances et de leurs combats. La Kahéna reste une figure mythique tout comme Cléopâtre-Séléné, épouse de Juba II, pour la Cherchelloise que je suis. Aujourd'hui, l'Europe ne doit pas oublier sa rive sud au prétexte que l'Europe a élargi son flanc à l'est. Les femmes des deux rives doivent consolider leur solidarité dans un échange égalitaire, respectueux des cultures et des mémoires. Les avancées des unes font gagner les autres, leur recul est celui de leur société et de l'humanité toute entière. Je ne doute pas que nous saurons, nous femmes des deux rives, prendre des initiatives pour inscrire ces objectifs plus concrètement dans les faits.